Résumé
Que faire avec les œuvres perdues ? Une typologie de ces dernières permet de répondre à cette question. On pourra distinguer neuf types d’œuvres perdues.
1. Les œuvres dont toute trace et tout souvenir sont perdus : il s’agit là des œuvres potentielles, qui ne sont que des « promesses », à l’instar de ce que Virginia Woolf a pu imaginer à propos de la « sœur de Shakespeare » dans A Room of One’s Own.
2. Les œuvres dont il n’existe qu’un reflet : certaines œuvres n’ont subsisté que sous la forme d’un titre ou d’une mention (les dialogues d’Aristote, dont s’inspira Cicéron), ou dans des compilations (la Souda est une compilation de compilations plus anciennes).
3. Les œuvres dont il ne reste que des fragments : cette catégorie est très proche de la catégorie précédente ; ces œuvres fragmentaires peuvent faire l’objet d’éditions, comme les lambeaux qui restent du second volume des Âmes mortes de Gogol, après que ce dernier eut jeté son manuscrit au feu. Ces œuvres peuvent susciter des rêves de lettrés ; ainsi, les présocratiques, qui ne sont connus que par de maigres fragments, inspirèrent à Valéry, dans Mon Faust, une bibliothèque contenant les œuvres complètes d’Héraclite en dix volumes.
4. Les œuvres fondues dans une œuvre ultérieure : la peinture en fournit des exemples, avec le cas des « repeints », que les analyses aux rayons X permettent de faire surgir. L’augmentation de l’œuvre, même sans altération de l’œuvre antérieure, modifie le sens de cette œuvre antérieure, et ce sens premier se perd durant le parcours. Dix années séparent les deux parties de Don Quichotte : alors que la première est une parodie des romans de chevalerie, la seconde revêt des aspects métaphysiques en réfléchissant sur la condition humaine, de sorte que le sens de l’ensemble se modifie par rétroaction.