Résumé
Même après son accès au Collège de France, Roland Barthes a continué d’écrire à partir de commandes, et ses rares livres non-sollicités ont souvent été publiés à titre posthume. Roland Barthes par Roland Barthes fut à l’origine conçu par l’auteur comme un « canular », visant à parodier la collection des « Écrivains de toujours », qui avait débuté dans les années 1950. Tout en souhaitant remettre en cause la collection, Barthes est pris au piège de l’exploration de son imaginaire. Cette tension intérieure s’explique en partie par un goût de la perversion (« la perversion rend heureux »), une notion qui agita les milieux intellectuels des années 1970 (Félix Guattari notamment). Dans ce texte, Barthes fait un lien entre perversion et écriture : « écrire est un verbe intransitif », c’est-à-dire un pur plaisir. La perversion consiste également à jouer sur le contrat en détournant la commande. Barthes définit trois types de contrats : neutre, négatif, positif, le modèle du contrat positif étant la prostitution. Au contraire, le contrat « négatif » est celui de l’échange commercial, lié, dans l’esprit de Barthes, au processus de publication, qu’il n’affectionnait pas. Ainsi, alors qu’il a beaucoup décrit l’aspect matériel et immédiat de l’écriture, Barthes est resté silencieux sur l’édition et sur l’aspect commercial de ses livres. Il avait d’ailleurs refusé que ses Fragments d’un discours amoureux soient commercialisés en format de poche.
Avec La Chambre claire, Barthes revient au régime de la demande. La première partie du livre reprend certains articles plus anciens, même si le livre fut publié chez un autre éditeur. Cette « infidélité » prenait donc la forme d’une réponse fléchie à la demande : plus exactement, il s’agissait de répondre à la demande non-formulée, au désir profond. D’où le caractère paradoxal qu’il y avait à publier ce livre dans la collection des « Cahiers du cinéma », tout en proclamant, dès le début, sa haine du septième art.
Cette démarche consistant à « tricher » à chaque commande fut portée à son paroxysme lorsque Barthes se chargea lui-même de faire le compte rendu du Roland Barthes par Roland Barthes, pour Nadeau, sous le titre de « Barthes puissance 3 ».