Résumé
La canonisation des œuvres littéraires a pour double effet de remédier à un oubli passé et de prévenir un oubli futur. La sélection qu’elle induit, qui consiste à donner une place éminente à certaines œuvres par élimination d’autres œuvres, crée un passé dans lequel l’œuvre canonisée occupe une place d’exception, qu’elle n’avait pas au départ.
Cette création d’un passé peut aller plus loin, comme le montre le personnage d’Esdras dans la Bible. Le prophète y est présenté comme le restaurateur d’une Loi oubliée. Mais il s’agit peut-être d’un mythe visant à remonter plus haut dans le temps la canonisation de la Loi afin de donner aux véritables instaurateurs de la Loi un statut de simples héritiers, alors qu’ils ne sont peut-être que des innovateurs. Cette façon de rendre la constitution du canon plus ancienne qu’elle ne l’est en fait est ce qu’on appellera l’antiquisation du canon.
Mais la canonisation, comme outil de mémoire, laisse de côté des œuvres oubliées. Dans ses Petits traités, Pascal Quignard remet en question l’idée d’un tri par le temps : « On ne tremble pas assez à l’idée de ce que l’on n’a pas. » Tel sera l’objet du cours de cette année.