Résumé
L’histoire de l’imprimé et de l’imprimerie nous invite à ne pas réduire l’histoire des textes à l’histoire des livres : formulaires, affiches, placards, catalogues constituent autant de non-book texts susceptibles de conserver des traces de l’existence d’œuvres perdues. La perte des textes de théâtre était la règle à l’époque de Shakespeare. Son Cardenio, une de ces « œuvres sans texte », inspiré du Don Quichotte, est attesté par deux documents du XVIIe siècle. En 1653, cette pièce fut attribuée à une collaboration de Shakespeare et de John Fletcher (familier de l’œuvre de Cervantès). À partir du XVIIIe siècle, un éditeur fit représenter une œuvre de Christoph Theobald comme s’il s’agissait du Cardenio perdu de Shakespeare. Peu après, débuta le mythe de la pièce perdue mais ressuscitée, au point que nombre de représentations, notamment dans les années 1990, se prétendent des résurrections de Cardenio. Cette situation s’explique par : 1. des phénomènes de réattribution d’autres œuvres ; 2. des réécritures sur la base des œuvres existantes de Shakespeare ; 3. des mélanges de pièces avec des éléments tirés de Cervantès ; 4. l’élimination philologique des éléments théobaldiens de la pièce de Theobald afin de retrouver la supposée « couche primitive » de Shakespeare.