Résumé
Dominique Barthélemy a lu le Shāhnāme dans le cadre d’une recherche comparatiste sur les élites guerrières d’Europe et d’Asie médiévales (IUF). Il en évoque les développements dans l’histoire occidentale et japonaise, avant de livrer quelques observations sur le dossier iranien.
Comme beaucoup d’autres élites guerrières, celle décrite, imaginée ou reconstituée dans le Shāhnāme s’adonne à la vengeance de manière familiale ou patriotique, et elle a ce que Dominique Barthélemy propose d’appeler un tropisme chevaleresque dans la mesure où dans ce cadre vindicatoire elle s’intéresse davantage à son adversaire de même statut supérieur qu’à ses auxiliaires de rang moindre. Or, du discernement et de l’estime entre ennemis aux pourparlers de paix et à l’établissement de vraies connivences, le glissement est sinon aisé du moins possible : ainsi une mutation chevaleresque ne guetterait-elle pas les pahlavān ? De fait, ici, sur fond d’idéal sacrificiel et dans le cours de récits tragiques des itinéraires vite interrompus par la mort de jeunes guerriers de royale noblesse, sont introduits par instants des épisodes proches de ceux dont sont tissés en France des XIe et XIIe s. les récits proprement chevaleresques. Il y a des phases d’amitié entre anciens ennemis, des épreuves ludiques de force et d’adresse ; des combats singuliers jalonnent notamment les histoires de Siyāvush, Forud, et surtout Bijan, qui a le rare privilège de s’accomplir sans mourir dans le texte. Pourtant, il n’y a pas ici place pour une véritable sociabilité chevaleresque, du fait notamment de la force relative de la royauté, de l’absence de véritables instigations féminines à la vengeance ou à l’exploit, et de la place prise par la chasse. Mais ces traits caractéristiques ne doivent évidemment pas être décrits comme des entraves, ni les idéaux et pratiques de guerre nobles en Iran caractérisés par un quelconque inachèvement. C’est la méthode même du comparatisme qui veut que l’historien souligne ce que telle société, telle culture ne sont pas, pour mieux décrire et tenter d’expliquer ce qu’elles sont, et Dominique Barthélemy trouve, notamment, particulièrement suggestive la relation des pahlavān aux proies prestigieuses de leurs chasses, ce à quoi fait écho un instant Gilles Authier dans son exposé de l’heure suivante.