Résumé
Au Tokharestān, l’étude n’a été qu’amorcée par Galina Pugachenkova et seulement autour de Bactres, dans les années 1970. C’est une lacune fâcheuse car elle nous prive d’une contre-épreuve au modèle liant encastellamento et féodalisation, le Tokharestān ayant, contrairement aux autres régions, toujours vu se reconstruire des structures étatiques, voire impériales. Mieux étudiés ont été les châteaux de terre crue de l’Hindukush central [16], mais comme partout se posent des questions de datation. Dans ce cas précis, on a essayé les comparaisons avec les plafonds en pierre de Bāmiyān, manifestement exécutés selon les mêmes modèles. Il y a des indices nets d’un continuum entre Sogdiane, Tokharestān et Bāmiyān : les équipes de maçons voyageaient, certains commanditaires aussi (les documents de Rōb et les sources arabo-persanes mentionnent des immigrés sogdiens). Les archéologues soviétiques n’avaient sans doute pas tort de postuler l’affirmation à tous les échelons territoriaux d’une classe aristocratique qui semble avoir voulu se procurer le même type d’habitat.
Quelques images contemporaines ou plus tardives aident à se figurer ces décors, notamment le plat d’Anikovka (conservé à l’Érmitage), exécuté dans le milieu chrétien du Sémiretchié (fig. 2). Le thème figuré est la prise de Jéricho, mais les réalités militaires représentées sont totalement locales, du VIIIe siècle et la composition est télescopée, les épisodes successifs apparaissant réunis dans deux enceintes concentriques comme étaient celles des donjons d’Asie centrale.
Ce schéma de « crise de la société esclavagiste antique » s’est imposé longtemps [17], malgré quelques voix un peu discordantes. Gennadij Koshelenko (pour la ParthyèneMargiane) et Èduar Rtveladze (pour le Tokharestān) ont contesté le schéma de remplacement d’un type d’habitat fortifié par un autre. Les villes autodéfendues auraient toujours coexisté avec les « forteresses gouvernementales » défendues par des professionnels, et seuls changeraient les équilibres d’un type à l’autre. Livinskij, qui a souvent pris le contrepied de Tolstov, a voulu remettre en question l’idée de la crise, mais surtout à partir d’observations locales, à savoir ses propres fouilles dans la partie tadjike du Tokharestān, où s’observe dans quelques cas une continuité des villes moyennes avec la période précédente (Kafir Kala, Kala-i Kafirnigan, Zartepa du côté ouzbek). La région, à l’écart des grands couloirs d’invasion comme du front sassanide, pourrait avoir été relativement épargnée par les troubles. L’école de Pendjikent (Marshak, Raspopova, Semënov) s’est au contraire inscrite globalement dans la lignée de Tolstov, en versant au débat la masse des données sogdiennes [18].