Sergej Bolelov, actuel responsable de la fouille, s’est interrogé sur les conséquences à tirer des observations qui précèdent [1]. Il envisage la possibilité que la généralisation des petites structures résidentielles au sein des micro-quartiers exprimerait « le stade ultime de l’éclatement des familles patriarcales », mais cette idée se heurte, d’une part, à l’absence de locaux de réception qui auraient été un élément obligé de résidences « patriarcales » au stade antérieur, et, d’autre part, au fait que la ville n’a vécu que deux générations. Il en vient donc à supposer une classe homogène et modeste de dépendants militaires vivant en famille. Ceci est cohérent avec l’absence perceptible d’une élite urbaine (aucun local n’est décoré de peintures murales), la médiocrité artistique des objets, l’abondance relative du matériel militaire dans les trouvailles. On en vient alors à supposer de la part du pouvoir kouchan une action planifiée d’urbanisation stratégique, destinée à garder la route du nord (par où finalement ne viendront pas ceux qui porteront le coup fatal à l’empire : les Sassanides). Kampyrtepa ferait donc partie d’une chaîne défensive comportant, au nord, le verrou fortifié des « Portes de fer » de Derbent, frontière nord de l’empire, et au sud la colonie militaire de Zadiyan protégeant Bactres (voir ci-dessous). Des hypothèses analogues quant à un caractère volontariste de l’implantation urbaine ont été avancées pour Termez, qui a repris les fonctions de Kampyrtepa après son abandon [2].
Si les fouilleurs ont voulu reconnaître tant de « chapelles de quartier », c’est en partie parce qu’ils n’ont pas trouvé de temple, mais celui-ci aurait fort bien pu se trouver dans la zone disparue, près du fleuve, comme le suggèrent les exemples de Termez et Takht-i Sangin. Le matériel religieux mobile représenté par les figurines de terre cuite révèle une quasi-absence du bouddhisme, situation qui ne se retrouve dans aucune autre ville kouchane et pourrait s’expliquer par l’abandon précoce du site : on sait maintenant que le bouddhisme n’a véritablement pris racine en Bactriane qu’à partir de la fin du ier s. de n. è. et que son emprise restait encore assez limitée sous Kanishka. Les deux nécropoles hors-les-murs relèvent du même rituel « zoroastro-compatible » que dans les autres sites connus (dépôt des corps sans décharnement préalable, mais tout de même sans contact avec la terre).
Références
[1] Dans Materialy Tokharistanskoj Èkspeditsii, 6, 2006, p. 15-80 (rapport sur la fouille du « quartier 10 »).
[2] S. Stride, « Regions and territories in Southern Central Asia: What the Surkhan Darya province tells us about Bactria » , in J. Cribb, G. Herrmann (éd.), After Alexander. Central Asia before Islam, Oxford, 2007, p. 99-117.