Résumé
C’est à l’examen plus détaillé de cette question et aux conclusions que l’on peut en tirer pour l’épistémologie et la sémantique des EN chez Duns Scot qu’a donc d’abord été consacrée la troisième leçon. Plusieurs leçons à noter sur le plan épistémologique : même si deux personnes X et Y n’ont pas la même expérience (X « voit » une hostie, Y « voit » du pain) et n’ont pas, en toute rigueur de connaissance de l’essence réelle (ou connaissance « de re », mais seulement « de dicto »), cela ne les empêche pas d’avoir un même contenu mental, bref, de penser « la même chose ». Sans doute ne sont-elles en contact direct qu’avec les propriétés accidentelles, sensibles des choses, mais il s’agit bien d’un contact avec des constituants du monde réel. Même si le contenu des pensées ne porte pas sur les choses telles qu’elles sont révélées par leur essence, et ne nous est accessible que par inférence, au terme d’une enquête, il porte bien sur certaines choses plutôt que d’autres et sur les choses telles qu’elles sont. Lorsque nous percevons une couleur comme le blanc, nous pouvons la trouver associée à d’autres qualités et présente dans différents objets : cela ne nous empêche pas d’en saisir l’essence commune et de comprendre en quoi consiste la communauté d’appartenance des qualités. Pour ce faire, il nous suffit de considérer l’essence non comme une « quiddité », mais plutôt comme un quelque chose, un aliquid qui est ceci ou cela, un ens, une res, que nous pouvons simplement décrire ainsi, et à quoi nous pouvons apporter ensuite des déterminations. Nous n’avons besoin que de cela, un substratum sans substance. Idée importante de cette conception essentialiste scotiste, qui conforte notre propre hypothèse d’une connaissance métaphysique réaliste de la nature reposant sur un « aliquidditisme » , ce quelque chose qui n’a pas encore de détermination (mais qui n’a rien de mystérieux), et qui peut donc recevoir des déterminations sans perdre rien de ce que sa « nature » a de « commun » (cf. la thèse avicennienne de l’indifférenciation de la « nature commune », et qui se développe aussi dans l’analyse scotiste des transcendantaux).