Résumé
La deuxième séance a permis d’écouter Giovanni Tuzet (université Bocconi, Milan), sur l’examen de la question des rapports entre pragmatisme et normativité. On trouve dans La Volonté de croire de James l’idée que l’on peut et doit prendre des décisions pratiques, et notamment juridiques, même lorsqu’on ne dispose pas de données ou de preuves concluantes. Cette perspective est aujourd’hui partagée par un auteur comme Richard Posner pour qui la finalité d’une délibération juridique est avant tout de rendre une décision, fût-ce au détriment de la qualité de l’argumentation qui l’étaie. À la suite de Dewey, le pragmatisme juridique a également été associé à la critique de l’idée de syllogisme judiciaire. Une logique et une métaphysique des relations juridiques de la logique des relatifs de Peirce devrait résulter de l’observation a posteriori de cette pratique à la fois sociale et inférentielle qu’est la pratique juridique. Comment la maxime pragmatiste de Peirce peut-elle fonder un pragmatisme juridique ? Dans la théorie prédictive du droit de O.W. Holmes, dire qu’un individu a l’obligation juridique de faire A, c’est dire qu’il serait probablement sanctionné par une cour s’il ne faisait pas A. On peut douter que cette conception permette de rendre compte de la normativité du concept d’obligation. Plus généralement, de même qu’on ne peut réduire les normes aux faits, on ne peut réduire les obligations aux conséquences prévisibles de leur infraction. Le pragmatisme juridique se trouve aujourd’hui confronté à une alternative : soit, à la suite de Brian Leiter (et dans une approche proche de celle de Holmes), il penche du côté d’une forme de « naturalisme juridique » dont les difficultés sont patentes ; soit, à la suite des travaux de Jules Coleman notamment, il penche du côté d’un « pragmatisme juridique conceptuel » attentif à l’irréductible normativité des concepts juridiques.