Amphithéâtre Marguerite de Navarre, Site Marcelin Berthelot
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Résumé

L’insistance des laudes est-elle un archaïsme ? Dès le début du XIIIsiècle, les louanges royales renvoient à une matrice théologico-politique qui n’a plus cours, puisqu’elle confond le règne et le sacerdoce. On se propose ici d’appeler gloire, à la suite des analyses de Giorgio Agamben, ce seuil d’indistinction entre le juridique et le religieux où se mêlent liturgie, cérémonies, insignes, acclamations. Bien loin de ne désigner qu’une antériorité chronologique dans l’histoire des pouvoirs, la gloire reste toujours active dès lors que le pouvoir reste cet « objet digne d’acclamations » pensé par Pierre Legendre – et voici pourquoi le Moyen Âge peut énoncer « la vérité anthropologique de la modernité européenne ». Si le mystère de l’office est celui de son efficacité, c’est bien cette énigme liturgique qu’il s’agit de cerner par des fictions politiques. Épreuve cruciale du conflit entre empire et papauté, la pénitence de Canossa (1077) se prête alors à ce type d’analyse historiographique. On en propose ici une relecture à partir des querelles mémorielles et des conflits d’interprétation (suivant notamment les propositions de Johannes Fried). Ritualisation d’une négociation préalable au filtre de la théorisation carolingienne d’un triomphe chrétien de l’humilité, Canossa vaut aussi, ainsi que l’a montré Stefan Weinfurter, comme expérience du désenchantement.

Sommaire

  • Anamnèse, reprise, liturgie
  • « Ce dieu là non plus n’est pas près de mourir. Il reconnaît toujours les siens » : la fin lugubre du Dimanche de Bouvines (1973)
  • Philippe Auguste « en bien mauvaise compagnie » (Bernard Guenée, cité par Felipe Brandi, « Connaissance historique et usages politiques du passé. Considérations autour de l’épilogue du Dimanche de Bouvines de Georges Duby », Cahiers du CRH, 2009)
  • Duby et l’insuffisance de l’histoire
  • « Si l’on prend au sérieux les objectifs de l’auteur, il faut cependant dire que ce livre de Kantorowicz n’a plus rien à nous dire » (Otto Gerhard Oexle, L’historisme en débat. De Nietzsche à Kantorowicz, trad. franç., Paris, 2001)
  • Marc Bloch, Ernst Kantorowicz et la fascination du pouvoir : vies parallèles
  • Contextes, fictions et expériences (Alain Boureau, Kantorowicz. Histoires d’un historien, Paris, 1991)
  • L’insistance des laudes est-elle un archaïsme ? « Plus qu’à un stade chronologiquement plus ancien, nous devons ici penser à un seuil d’indistinction toujours opérant, où le juridique et le religieux deviennent parfaitement indiscernables » (Giorgio Agamben, Le règne et la gloire, trad. franç., Paris, 2008)
  • Pourquoi le pouvoir a-t-il besoin de cet « immense accumulation de spectacles » (Guy Debord) ?
  • Le mystère de l’office est le mystère de l’efficacité (Giorgio Agamben Opus dei, trad. franç., Paris, 2012)
  • Cerner l’énigme de fictions théoriques et d’inventions romanesques
  • « Nous n’assistons pas tant au flux de l’information qu’à un pur spectacle, l’information sacralisée, rituellement illisible » (DonDeLillo, Cosmopolis, 2003)
  • La chute du cours de l’expérience : « Qui, aujourd’hui, sait dénicher le proverbe qui va le tirer d’embarras ? » (Walter Benjamin, « Expérience et pauvreté », 1933)
  • Sommes-nous séparés de ce régime liturgique par lequel le pouvoir se donne comme « un objet digne d’acclamation » ? (Pierre Legendre, préface à Ernst Kantorowicz, Laudes Regiae. Une étude des acclamations liturgiques et du culte souverain au Moyen Âge, trad. franç., Paris, 2004)
  • Penser la valeur théorique du Moyen Âge : « le Moyen Âge a énoncé la vérité anthropologique des fondements de la modernité européenne » (Pierre Legendre, « La mort, le pouvoir, la parole. Ernst Kantorowicz au travail de la fiction et du politique », dans Sur la question dogmatique en Occident, Paris, 1994)
  • Le tranchant de l’écriture et le cœur vénéneux des choses : « ce qu’il faut retrouver à travers la blancheur et l’inertie de la mort, ce n’est pas le frémissement perdu de la vie, c’est le déploiement méticuleux de la vérité » (Michel Foucault, Le beau danger [1969]
  • Se confier aux pouvoirs du déséquilibre : « Nous sommes inépuisables en expériences » (Henri Michaux, Passages, Paris, 1950)
  • Une histoire rythmée mais hétérogène des rémanences et des résurgences (Michèle Riot-Sarcey, Les aventures de la liberté. Une histoire souterraine du XIXsiècle en France, Paris, 2016)
  • Gang nach Canossa, de Bismarck (1872) à Henri IV (1077)
  • Investir, déposer, anéantir : la concurrence entre deux prétentions à l’universel
  • Histoire longue de la disponibilité d’un souvenir humiliant (Harald Zimmermann)
  • Le Sonderweg dans l’histoire européenne (Pierre Monnet)
  • Inversion des mémoires et invention du mythe (Johannes Fried, Canossa. Entlarvung einer Legende. Eine Streitschrift, Berlin, 2012)
  • Canossa, ou la ritualisation d’une négociation préalable ? (Benoît Grévin, « Polémique de la “Mémorique” », Francia, 2015)
  • La force des rituels et le triomphe chrétien de l’humilité
  • Un précédent : la pénitence de Théodose au filtre carolingien (Mayke de Jong, The penitential State. Authority and atonement in the age of Louis the Pious, 814-840, Cambridge, 2009)
  • Canossa ou expérience politique du désenchantement (Stefan Weinfurter, Canossa. Die Entzauberung der Welt, Munich, 2006)
  • Le chiasme grégorien : « sous le pape, princeps et verus imperator, l’appareil hiérarchique de l’Eglise romaine — nonobstant des aspects importants du Constitutionalisme — manifesta une tendance à devenir le prototype parfait d’une monarchie absolue et rationnelle fondée sur une base mystique, alors qu’au même moment l’État avait de plus en plus tendance à devenir une quasi-Église et, à d’autres égards, une monarchie mystique fondée sur une base rationnelle » (Ernst Kantorowicz, « Mystères de l’État. Un concept absolutiste et ses origines médiévales » [1955], trad. franç. dans Mourir pour la patrie, Paris, 1984)