De l'art politique d'espacer le temps

Résumé

Comparant les entrées esquivées de Louis XI (notamment à Abbeville le 27 septembre 1436, où le travestissement provoque un dévoiement du regimen) aux entrées loupées de Charles le Téméraire (notamment à Gand le 26 juin 1467, où le peuple se rassemble à la fois pour occuper l’espace, exposer sa vulnérabilité et instaurer le politique), on reprend ce motif politique du renversement qui guide toute la réflexion du cours : renversement théologique de la gloire, renversement politique des expériences monastiques, renversement humaniste qui profane le passé pour restaurer sa lisibilité. Mais c’est pour suggérer un tournant dans le programme que l’on se donne désormais : il vise moins une phénoménologie des embrasements qu’une théorie des emplacements. Celle-ci se propose de ressaisir les acquis récents de la recherche en histoire médiévale sur la spatialisation de la domination, les communautés et le fait d’habiter à partir de la notion foucaldienne d’hétérotopie, utopie réaliste, ou en tous cas située.

Sommaire

• Rassemblement, dispersion et effervescence : un moment politiquement risqué
• La civilité chez Gilles Deleuze, un « art d’instaurer de justes distances entre les hommes » qui consiste « à n’être ni trop près ni trop loin, pour éviter de donner ou de recevoir des coups » (Périclès et Verdi. La philosophie de François Châtelet, 1988)
• Retour à Louis XI : « Mais lui, après avoir franchi la porte de la ville… »
• Le roi chasseur, dévoré par sa passion privée (Joël Blanchard, « Le corps du roi : mélancolie et "recreation" », dans Id., éd., Représentation, pouvoir et royauté à la fin du Moyen Âge. Actes du colloque organisé par l’Université du Maine les 25 et 26 mars 1994, Paris, Picard, 1995)
• Manteau court et chapeau de castor, humilité christique et habit de gloire
• L’entrée royale à Abbeville (27 septembre 1463), travestissement et soulèvement
• « Vous délirez ! » : le dévoiement du regimen
• Le règne comme recherche de la voie droite
• La Vie de Périclès de Plutarque : « On ne le vit plus que dans une seule rue de la ville »
• Via, porta, platea : souvenirs bibliques et formes urbaines
• L’événement politique comme loupé du rituel : l’entrée manquée de Charles le Téméraire à Gand le 28 juin 1467
• Une histoire de réconciliation, de négociation et d’oubli volontaire (Élodie Lecuppre-Desjardin, La ville des cérémonies. Essai sur la communication politique dans les anciens Pays-Bas bourguignons, Turnhout, 2004)
• Un mystère bien étrange : le culte de saint Liévin et la commotion populaire (Peter Arnade, « Secular charisma, sacred power: rites of rebellion in the Ghent entry of 1467 », Handelingen van de Maatschappij voor Gheschiedenis en Oudheidkunde te Gent, 1991)
• Le récit de Commynes : « Saint Liévin passera, saint Liévin ne se détournera jamais de sa route »
• Occuper l’espace, exposer sa vulnérabilité, instituer le politique (Judith Butler, Rassemblement. Pluralité, performativité et politique, Paris, 2016)
• La fête des fous et l’ambivalence du retournement parodique
• L’inversion des polarités du temps et de l’espace : un carnaval qui tourne mal (Matthias Wirz, "Muerent les moignes !" La révolte de Payerne (1420), Lausanne, 1997)
• Quand le verger du prieur devient platea comunis : requalification des lieux, disqualification des actes
• Accusation de traîtrise, appel au meurtre, cri judiciaire
• Reprise d’un motif politique : renversement théologico-politique de l’anatomie de la gloire, renversement politique des expériences monastiques, renversement humaniste qui profane le passé pour restaurer sa lisibilité
• Ouvrir le passé, un geste critique de l’herméneutique pour aller voir sous les textes leur puissance de dire
• Un précipité : « On sent bien, à seulement prononcer le mot, qu’il porte en lui tout le paradoxe d’un temps bref, critique ou explosif, advenant au creux d’un temps long, d’un temps où la mémoire dépose pour qu’enfin le désir explose » (Georges Didi-Huberman, Désirer désobéir. Ce qui nous soulève, 1, Paris, 2019)
• « Une ouverture qui serait un rassemblement » (Henri Michaux, Misérable miracle) : l’explosivité des grands commencements
• Le programme, désormais : de la phénoménologie des embrasements à une théorie des emplacements
• Michel Foucault et la modernité comme époque de l’espace : luttes politiques entre « les pieux descendants du temps et les habitants acharnés de l’espace » (« Des espaces autres », 1967)
• La spatialisation de la domination au Moyen Âge : les communautés et le fait social d’habiter
• Le dehors de l’hétérotopie, « cet espace qui nous ronge et nous ravine »
• Ne plus se laisser porter vers les bords ombreux des ruines d’avenir, mais chercher les nouveaux emplacements du politique