Quand nous nous référons au passé juridique de Rome, nous visons d’habitude les évolutions du droit romain sur la longue période qui va de la fondation de la cité au VIIIe siècle av. J.-C., jusqu’au règne de Justinien, au VIe siècle apr. J.-C. Le cours a proposé de regarder les choses en adoptant la perspective inverse. Nous nous sommes demandé plutôt comment les Romains eux-mêmes concevaient leur propre passé juridique. Ce positionnement correspond à la conviction que le meilleur mode de faire de l’histoire du droit (ou peut-être de faire de l’histoire tout court) est de s’identifier avec le point de vue des protagonistes, dans notre cas, des Anciens, de s’efforcer de voir le monde comme eux-mêmes l’ont vu.
Quels Anciens ? Les témoins les plus sollicités pendant le cours ont été les juristes romains, mais d’autres auteurs ont été pris en considération, suivant l’idée que la culture juridique ne peut se comprendre qu’en l’insérant dans le cadre de la civilisation antique, par champs discursifs proches. C’est pourquoi le cours a exploré également les conceptions de quelques auteurs grecs – Hésiode, Aratos de Soles – et des poètes romains qui en ont repris les idées, comme Ovide, ou d’un philosophe comme Épicure et de son interprète romain Lucrèce. Sous d’infinies variations, les idées gréco-romaines sur l’origine du droit étaient insérées dans une vision plus générale de l’histoire de l’humanité : une vision descendante, de l’âge d’or jusqu’à l’âge de fer, déjà tracée par Hésiode et ensuite par Aratos, et une vision ascendante, qui voit l’homme s’émanciper d’un état de vie sauvage et se « civiliser » par le biais du droit. Bien que sous des formes différentes, ces deux conceptions lient la naissance du droit à la nécessité de freiner les instincts négatifs de l’homme, qui produisent, dans un cas, la chute vers l’état sauvage, dans l’autre – après la sortie de cet état –, une dégénérescence liée à la place croissante du luxe et des techniques.
Quant aux thèmes, le cours a été consacré autant à la naissance du droit en général qu’à la genèse d’institutions particulières, notamment de droit privé.
Enfin, et surtout, chaque texte a été sondé pour découvrir quelle fonction occupait le rappel historique. Les juristes transforment le passé lorsqu’ils l’insèrent dans leur discours. Souvent, c’est un usage de l’histoire juridique qui part du présent et imagine un passé pour expliquer le présent lui-même ; l’histoire est ainsi un outil pédagogique. L’usage du passé prend sa dimension la plus forte quand il sert à argumenter, à appuyer des décisions spécifiques. En tout cas, mettre au jour quel usage les Anciens faisaient de leur passé nous permet d’en saisir la mentalité, puis de mieux vérifier la fiabilité des informations qu’ils nous livrent sur leur histoire, et également de développer un regard critique sur les usages du passé auxquels toute société, même contemporaine, ne renonce pas à s’adonner.