Résumé
Au IIe siècle apr. J.-C., le juriste Gaius écrivit (D., 1, 2, 1) : « je constate en toutes choses que ce qui est parfait, c’est ce qui est composé de toutes ses parties ; et, à coup sûr, la partie la plus puissante, c’est le commencement ». Gaius pensait alors au rôle du passé : parler du début permet d’aborder le présent dans sa complétude.
Contrairement à une idée répandue, les juristes n’avaient donc pas d’aversion envers l’histoire. Cette impression dépend largement d’un problème de transmission des textes : les compilateurs du Digeste de Justinien, qui poursuivaient un but de simplification, ont souvent éliminé les références au passé qu’ils trouvaient dans les œuvres des juristes dont ils tiraient les passages pour composer leur recueil.
Le recours au passé faisait donc partie de l’arsenal des juristes, mais il s’agissait d’un recours qui n’était pas neutre. Par exemple, dans un passage de Paul (D., 41, 2, 1 pr.), on voit comment Nerva le Jeune fait de la possession la première forme d’appropriation, une situation qu’il imagine se dérouler dans un espace précivique imaginaire. L’occupation, c’est-à-dire l’acquisition de la propriété par le seul fait d’appréhender une chose (qui subsiste par exemple dans la chasse), serait une trace (vestigium) laissée par ce passé imaginaire. Pour expliquer la distinction entre possession et propriété, qui sont des institutions juridiques du présent, le juriste a imaginé un passé, une évolution. Découvrir les usages du passé signifie donc accéder à la mentalité des juristes, mais aussi posséder des critères pour évaluer les informations qu’ils nous fournissent.