Résumé
L’Odyssée n’offre pas le contexte de sang et de fureur qui caractérise l’Iliade quand un daimōn saisit un guerrier sur le champ de bataille, mais les contextes qui le voient intervenir recoupent néanmoins les conclusions atteintes dans l’analyse de l’Iliade : le daimōn renvoie à une puissance divine agissante qui peut ou non être identifiée. C’est notamment le cas de deux prières où les Nymphes et Zeus sont respectivement invoqués pour qu’Ulysse rentre chez lui. Dans l’un et l’autre cas, la formule est la même et les protagonistes espèrent « qu’un daimōn le ramène » (Od., XVII, 240-243 ; XXI, 200-201).
Quant au terme olbiodaimōn qui qualifie Agamemnon dans la bouche de Priam au chant III de l’Iliade, il fait référence, en parallèle à cet autre hapax qu’est moirēgenēs dans le même vers (181), à la faveur divine qui caractérise un homme « prospère » (olbos). La notion de daimōn s’inscrit sur le même arrière-plan que la dévolution de sa part (moira) à un mortel à sa naissance. Une telle détermination relève de ce que nous appelons le « sort » d’un individu, mais ce sort n’est pas une puissance indéterminée qui frapperait aveuglément : il s’agit de l’équilibre entre les biens et les maux, tel qu’Achille en attribue la maîtrise à Zeus lui-même au chant XXIV de l’Iliade (v. 527-540).
Enfin, un dernier dossier homérique a été envisagé : l’apostrophe daimonie, au masculin, ou plus rarement daimoniē au féminin. Du point de vue de celui qui apostrophe son interlocuteur, ce dernier est saisi, inspiré, transporté par quelque chose d’extérieur à lui et qui le mène dans une direction inadéquate, voire aberrante. En bref : il dépasse les limites attendues d’un discours ou d’une attitude. Mais au stade de l’usage d’un tel vocatif, qui est figé en une expression standardisée, il semble bien s’être démonétisé au point de pouvoir être placé dans la bouche d’un dieu (Hom., Il., I, 561 ; IV, 31 ; III, 399).