Résumé
Les deux œuvres intégralement conservées et attribuées à Hésiode poursuivent des objectifs différents l’un de l’autre. La Théogonie raconte sur le mode généalogique la naissance du monde et des dieux, jusqu’à l’installation ferme de la souveraineté de Zeus. Le point de vue adopté est un regard panoramique et surplombant sur l’ordre de Zeus et la stabilisation du cosmos. Les Travaux et les Jours déploient un point de vue davantage humain qui s’applique à une petite communauté paysanne devant assurer sa survie par un labeur informé de la qualité divine des « Jours » pour que ses « Travaux » soient efficaces. Un tel succès est subordonné à l’exercice de la justice, qui permet de profiter de ce labeur. Parmi les trois récits qui soutiennent le propos initial du poète sur la condition humaine, le « mythe des races », qu’on appellera plus volontiers « récit des cinq espèces humaines », offre une représentation des daimones en tant que « gardiens des humains mortels » et « pourvoyeurs de richesses » (122-126, cf. 253-255). En effet, les humains de l’âge d’or ne se distinguent des dieux que par leur mortalité. Ensuite, par la volonté de Zeus, ils acquièrent un statut d’immortels sous la forme de daimones « gardiens ».
L’Iliade offre, avec le daimōn,l’image d’une puissance divine en action, tandis que l’Odyssée atteste aussi la cristallisation potentielle d’agents divins envoyés par les dieux. En comparaison de ces œuvres, Les Travaux et les Jours n’offrent pas d’intrigue, mais une leçon de justice et une exhortation au travail qui, toutes deux, placent Zeus en position dominante : il est maître de justice et pourvoyeur de prospérité, et c’est à son action dans le monde que se rapportent les daimones de l’âge d’or. D’Homère à Hésiode, on voit se dessiner une notion de daimōn qui sert à exprimer le « ressenti » subjectif d’une action divine, tout en assumant potentiellement le profil d’une entité objectivée qui participe de la divinité qui l’envoie.