Amphithéâtre Marguerite de Navarre, Site Marcelin Berthelot
En libre accès, dans la limite des places disponibles
-

Le célèbre passage du livre II (53) d’Hérodote où il affirme que les poètes ont « fabriqué pour les dieux une généalogie, leur ont donné leurs surnoms, ont réparti entre eux honneurs et compétences, et signifié leurs figures » est précédé d’une étymologie fantaisiste du mot theos. Les dieux sont ainsi appelés (theoi), selon l’historien, car, « ayant mis en ordre (thentes) toutes choses, ils président à toutes les répartitions » (II, 52). Cette vision émique des dieux les fait apparaître comme des instances dispensatrices, distributrices, régulatrices. Or, l’étymologie de daimōn qui, pour sa part, n’a rien de fantaisiste en fait un agent dispensateur, distributeur [1]. La résonance entre la conception de l’action des dieux dans le monde telle que la dessine Hérodote et l’étymologie de daimōn invite à creuser ce sillon sémantique selon trois axes. Le premier tient à la répartition des biens et des maux qui est inhérente à l’emprise des dieux sur la condition humaine. S’y rattache également l’idée de « sort » et de « destinée ». Le deuxième axe tient à la distribution de la puissance divine elle-même dans un système polythéiste où les dieux sont nombreux et associés à des honneurs et des compétences spécifiques : le daimōn est une notion qui permet de « cristalliser » ces compétences particulières en les identifiant par un nom. Le troisième axe tient à la distribution des dieux dans l’espace. Dans l’économie générale du monde telle que l’évoquent les poèmes archaïques, tous les dieux ne sont pas situés en un même lieu, et cette localisation plus ou moins spécifique exprime une facette de leur timē respective. Dans cette perspective, les daimones deviennent des dieux « épichthoniens », situés sur terre, parmi les hommes, ainsi qu’on le percevait chez Hésiode et Euripide. C’est leur caractère topique qui explique pourquoi Platon (République, IV, 327b ; Lois, VII, 801e) opère une classification des entités suprahumaines à honorer dans sa cité idéale en trois ensembles : dieux – daimones – héros, à savoir les divinités « olympiennes » – voire panhelléniques –, les divinités du terroir et les héros.

Référence

[1] Pierre Chantraine, Dictionnaire étymologique de la langue grecque, Paris, 1968, s.v. δαίμων. Cf. Georges Dumézil, Les Dieux souverains des Indo-Européens, Paris, 1977, p. 109.

Événements