Quelles conclusions tirer des sources examinées précédemment pour la sociologie des premiers utilisateurs du copte (IIIe-IVe siècles) ? Ceux-ci sont avant tout des Égyptiens de confession chrétienne ou se réclamant d’une forme de christianisme (les manichéens de Kellis), autrement dit professant une religion en rupture totale avec le paganisme ambiant. Le paganisme égyptien s’appuyait sur des textes écrits en hiéroglyphes, hiératique ou démotique. Le christianisme égyptien devait consommer sa rupture avec le paganisme en développant un nouveau médium écrit qui lui soit propre et qui tourne le dos aux vieilles traditions scripturales remontant à l’Égypte pharaonique, à la pensée qu’elles véhiculaient et à la tournure d’esprit qui les conditionnait. Certes, l’idée d’avoir recours à l’alphabet grec enrichi de quelques signes supplémentaires pour noter l’égyptien est née dans les milieux de prêtres païens, mais la continuité entre vieux-copte et copte est purement formelle : le premier n’était qu’un expédient graphique rendant une langue écrite et pétrifiée dans sa tradition alors que le copte a visé à devenir une langue véhiculaire, une langue de communication, compréhensible par tous.
Les premiers utilisateurs du copte se caractérisent aussi par leur rapport étroit avec la tradition hellénique. Si le vieux-copte est un produit du paganisme égyptien, le copte peut être légitimement considéré comme un produit de l’hellénisme d’Égypte malgré une certaine vision qui en fait le concurrent de ce dernier. Cet hellénisme se lit évidemment tout d’abord dans son écriture : il emprunte non seulement le style graphique propre à un certain type de production de librairie grecque (l’écriture dite « majuscule »), mais, contrairement au vieux-copte, il intègre au système graphique grec les quelques lettres supplémentaires dérivées du démotique en leur donnant une forme analogique de celle des lettres grecques d’allure approchante. Il s’approprie, en outre, les signes diacritiques de l’écriture grecque. L’étude de certains d’entre eux dans les premiers textes coptes (le tréma, l’apostrophe, la surligne conférant une valeur syllabique à certaines consonnes) nous a convaincus que le copte est une invention d’hellénographes pour des individus qui, au moins à l’origine, étaient avant tout des hellénographes. Enfin, après l’écriture, c’est le lexique du copte qui frappe par son caractère fortement grec (environ 20 % d’emprunts grecs), témoignant d’une hellénisation qui va au-delà du vocabulaire usuel ou de la pratique documentaire, mais touche l’ossature même de la langue copte et puise ses sources dans la fréquentation de la littérature au point de donner l’impression que ces premiers utilisateurs étaient mus par le désir d’afficher leur culture grecque dans la langue qu’ils étaient en train d’élaborer.