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Quel est le processus qui fait des daēuuas des sacrifiants réprouvés ?
Il a été expliqué dans le Y 30.6 et se reflète encore dans le Y 32.5. Le Y 30.6 atteste la chaîne causale suivante : 1. les daēuuas sont victimes d'une illusion (dab-), 2. ils ne font pas bien la différence (vi-ci-) entre les deux mainiius, 3. ils choisissent (var-) la mauvaise triade, 4. ils courent vers Aēšma « Fureur ». L'effet de cette chaîne est qu'ils entraînent les hommes dans leur erreur.
Y 30.6 : D'entre ces deux mainiius, les dieux surtout ne font pas bien la différence, car l'illusion leur advient quand ils délibèrent. Comme ils choisissent la pire Pensée, ils courent s'unir à la Fureur, dont ils infectent l'état-d'existence du maître d'hommes.
Y 32.5 : vous leurrez l'homme au sujet de la belle vie et de l'immortalité, comme lorsque le mauvais mainiiu et le (mauvais) acte, avec la mauvaise pensée et la mauvaise parole, (choses) auxquelles (l'homme) peut identifier le trompeur, (vous leurrent, vous,) les daēuuas.
Le terme aēnah (véd. énas-)
C'est un mot gāthique, plus fréquent dans la GA. Le terme est mentionné de façon insistante au Y 32 dans les strophes 6 à 8 (6 : beaucoup d'aēnah et 7-8 : mot marqué par le démonstratif) :
Y 32.6 : Tu connais par bonne Pensée, ô Ahura, les nombreux aēnahs... Au lieu où s'exerce ton pouvoir, ô Mazdā, le sǝ̄ṇgha doit être exposé, pour vous et pour l'Agencement.
Y 32.7 : En accédant (à ce lieu), je déclare ne pas connaître ceux de ces aēnahs qui sont définis..., qui srāuuī... et dont tu es, ô Ahura Mazdā, celui qui repère le mieux le reste.
Y 32.8 : Pour ces aēnahs srāuuī le fils de Vīuuaŋvhaṇt, Yima, qui, cherchant à plaire à nos maṣ̌iias, ... Je m'associe, ô Mazdā, à ta capacité de les discerner (de ...).
Il est malheureusement difficile de bien comprendre puisque d'une part la strophe 6 montre les marques d'un accident de transmission et que d'autre part, la strophe 8 fait allusion à un vieux mythe indo-iranien avec la mention de Yima, mais l'hémistiche b' est strictement incompréhensible.
La deuxième partie du Y 32
Trois catégories se dégagent :
1. Quels sont les acteurs ? Les membres qui font l'objet d'une remarque ou malédiction ?
duš.sastiš (9) « celui qui fait de mauvaises définitions » ;
ahu- et aŋvhī- « le ahu (maître ?) et son épouse » ;
marǝtan- (12) : terme péjoratif pour le mortel ;
Grǝ̄hma (12-14) ;
Karapan (12, 15) et Kauui (14-15) sont des prêtres antagonistes. Deux autres prêtres font partie de cette catégorie, bien qu'ils ne soient pas nommés ici : usij, véd. uśij- « celui qui sacrifie sans observer de temps rituel précis » (vs véd. r̥tvij-) et magauuan-, associé aux malédictions qui vont de paire avec l'énumération des noms propres.
2. Quelle est l'action entreprise par ces acteurs ?
Deux verbes sont répétés avec une certaine fréquence : a. mard- « affaiblir », litt. «rendre mou, amollir » dans les strophes 9-10 : mōrǝṇdat̰ et 11 : mōrǝṇdǝn ; et b. rah- « s'éloigner, prendre ses distances » (cf. gr. αρνεομαι) vis-à-vis de la bonne triade et des bonnes entités dans les strophes 11 : rārǝšiiąn et 12 : råŋhaiiǝn.
3. Envers quoi les actions négatives sont-elles entreprises ?
Deux mots aussi sont utilisés avec une certaine fréquence : a. srauuah-, véd. śrauuas-, « hymne ; rumeur » aux strophes 9, 10 et 12 ; b. jiiātu- « subsistance, force de vie », cf. Y 32.5 qui a le terme hujiiāti- (hujiiātōiš), variante de composition de jiiātu-, qui représente les quatre forces d'immortalité : amǝrǝtāt- « immortalité », hauruuatāt- « intégrité du corps », tauuiši- « force physique » et utaiiūiti-, « jeunesse persistante ». Affaiblir le jiiātu revient à exercer une action négative envers cette constellation de forces qui se réalise finalement dans l'immortalité.
L'évaporation de l'antagonisme et l'élimination du mal intérieur
Le Y 32.15 atteste l'évaporation de l'antagonisme, qui est donc en voie de résolution :
Y 32.15 : Voilà pourquoi (ceux qui ont) la fonction de karapan et de kavi sont à présent éliminés par ceux qu'ils voulaient empêcher de disposer à volonté de la subsistance. Que ceux-ci, plutôt qu'eux, soient portés dans la maison de la bonne Pensée !
Mais il faudra encore une opération pour que le sacrifice, avec les deux offrandes, puisse avoir lieu : purger les cercles de l'appartenance sociale, c'est-à-dire éliminer l'ennemi intérieur. Ce retournement de l'antonymie est attesté au Y 33.4-5. La strophe 4 est consacrée à l'ennemi intérieur, puis la strophe 5 est la première du moment sacrificiel :
Y 33.4 : Moi qui veux purger ton sacrifice, ô Mazdā, de la surdité, de la mauvaise pensée, de l'indifférence de ma famille, de la tromperie contiguë à mon clan, des rouspéteurs de ma tribu et (purger) la pâture de la vache du pire procédé-mental,
Y 33.5 : moi qui, au temps du détellement, implore ton écoute de bien guider chacun, alors que j'ai atteint le pouvoir de la bonne Pensée sur la longue vie (et) les chemins directs menant à l'Agencement, sur lesquels, ô Mazdā, réside l'Ahura,
Le cours général du Y 32
Un processus parallèle au processus de la GA se dessine. Le Y 28 se caractérise comme un yāna et le Y 32.1 contient yāsat̰.
Y 30.3 -> Y 31 : le but du sacrifiant est d'établir une union (sar-) avec les forces de l'immortalité et Y 32.5 : rassemblement de la mauvaise triade sous l'égide du mainiiu avec pour objectif l'immortalité.
Y 31 : Ahura Mazdā a parlé aux sacrifiants, et, ainsi, le transfert de connaissance a eu lieu face au Y 32.12 où Ahura Mazdā parle pour refuser le savoir et injurier : « Ahura Mazdā injurie ceux qui affaiblissent la force-vitale de la vache en récitant l'hymne qui commence par "tu chemines" et par lequel les chefs éloignent les leurs du très bon acte ; (il injurie ceux avec qui, dont Grǝ̄hma, le karapan a choisi, plutôt que l'Agencement, la tromperie et le pouvoir sur les īšans ( ?) ».
Et pour finir, le Y 32.14, strophe difficile avec une traduction non garantie, donne l'impression que c'est la condamnation du haoma et du sacrifice sanglant : « Par une aspersion tout au long du jour, Grǝ̄hma et les kavis déposent leur aptitude et leur prestige dans le lien de celui qui fait flamboyer la faveur qui se consume mal et qu'ils acceptent d'offrir au trompeur au moment où la vache est maltraitée pour être tuée ».
Le Y 32 raconte en raccourci un échec sacrificiel, celui d'un panthéon et d'un clergé antagoniste, (échec) qui est introduit dans la réussite sacrificielle que nous raconte la GA.
Le Yasna récent a des variantes qui sont dépendantes du moment sacrificiel (ratu), dont la variante du Vīdēvdād Sāde. Le Yasna est un rite hāuuani, qui commence au matin, alors que le Vīdēvdād Sāde est ušāhina, puisque le rite commence à minuit et se termine au lever du jour. Or, la GA est aussi un rite ušāhina. L'insertion du Vīdēvdād « la règle qui tient les démons à l'écart » joue le même rôle que le Y 32. Le texte du Yasna récent serait une adaptation de ce que la GA représente dans le corpus de l'Avesta ancien.
L'usage de sru
On constate également l'insistance sur le verbe sru- : srāuuī « être entendu » (7, 8) et srauuah- « hymne / rumeur » (9, 10, 12). Il y a lieu de s'interroger sur une possible théâtralité dans les Gāθās (Y 30.2 : éveil des hommes, Y 51 : allusions au sort de l'âme, Y 53 : mime d'union sexuelle mythologique). On pourrait voir ici une compétition pour se faire entendre, le but étant de faire plus de bruit que l'autre. Remarquons à cet égard le Y 33.7 où il est question d'être entendu par eux plus loin que le magauuan : ...yā sruiiē parǝ̄ magāunō « je suis entendu par eux supérieurement », moment où le véritable sacrifice vient de commencer.
Le terme ahu- « état d'existence »
Ahu- est fréquent sauf dans le GS, où le mot a perdu son importance. Dans la GA et la GU, on constate une invocation initiale (Y 28.2 et Y 43.3) d'un double ahu : mental et osseux (cf. le YH et le Y 53 qui évoquent également cette double nature). Le résultat final est que l'ahu est devenu fraša « parfait ».
Le mot ahu peut avoir trois particularités :
- pauruiia- « premier » (essentiellement dans la GA) ;
- vahišta « très bon » (GU) ;
- apǝ̄ma « ultime » (Y 51).
Schématiquement, l'ahu peut être pauruiia. Lorsque le mainiiu intervient, il sera vahišta « très bon » pour les bons ou acišta « très mauvais » pour les antagonistes. Le chemin s'arrêtant là pour les antagonistes, leur état est déjà apǝ̄ma. A la fin, pour les mauvais, leur état devient acišta. Quant aux bons, leur état vahišta va devenir fraša.
On peut peut-être interpréter ahu comme pauruiia à l'aurore, comme vahišta lorsque le soleil est au zénith, comme fraša avec l'ultime réussite sacrificielle tandis que il est apǝ̄ma avec une fin catastrophique (nuit ou mort).
La semaine prochaine, nous ferons brièvement le point sur la doctrine des millénaires et puis sur celle du monothéisme.