Résumé
Nous traiterons l’idée sous-jacente aux arts martiaux japonais, car les pratiques en sont répandues dans le monde entier. Les arts martiaux d’origine extrême-orientale sont souvent traités en dehors du Japon comme s’il s’agissait d’une des essences de la culture japonaise. La France et l’aire culturelle francophone ne font pas d’exception. Pourtant l’idée motrice de ces pratiques sont très souvent mal comprise, voire détournée dans un sens parfois diamétralement opposé. Au lieu de rectifier ces « erreurs », nous tâcherons d’apporter une nouvelle interprétation : en nous appuyant sur la notion de « corps médial », nous nous proposons d’observer comment certaines pratiques des arts martiaux d’origine japonaise recèlent une dimension jusqu’ici presque cachée ; idée sous-jacente qui va éclairer ce que le « corps médial » implique au XIXe siècle.
Dans plusieurs pratiques et exercices des arts martiaux japonais, la notion d’antagonisme, de rivalité entre l’agresseur et l’agressé, le vainqueur et le vaincu, n’existe pas, ou alors elle doit être surmontée. L’opposition entre le sujet agissant et l’objet qui subit l’action s’efface ; tant que cette opposition persiste on n’arrive pas à réaliser un corps médial et on reste incapable de comprendre le milieu où l’on se trouve. Comment dépasser la notion même de confrontation ? La distinction cartésienne entre sujet et objet doit être annulée dès le stade de l’initiation. Ce qui implique que les exercices consistent à neutraliser l’affrontement musculaire et à anéantir la compétition de compétence à la mesure de force physique ou mentale. On pourrait dire que l’exercice consiste à « vivre » l’écoumène tel que la mésologie (proposée par Augustin Berque) essaie de le définir.
Par conséquent, notre réflexion comporte trois aspects. 1. Dans une perspective théorique, nous essayons de "dépasser" la dichotomie classique au sein même de l’exercice, lieu d’interférence mutuelle des agents concernés. 2. Dans une perspective critique, notre contribution met en question plusieurs idées reçues fondamentales de la tradition philosophique en Occident. Toutefois, il ne s’agit pas d’une opposition essentialiste entre l’Occident et l’Orient, car une telle dichotomie en conflit est à l’encontre de la visée qu’envisage la pratique des arts martiaux. Cela implique aussi qu’il faudrait réfuter l’idée même de « perspective ». 3. Les pratiques gestuelles sont à la fois physiques, mentales et esthétiques (y prédominent la tactilité et l’élément haptique). La recherche des techniques a pour mission de réactiver ce qui est refoulé par le perspectivisme inhérent à la pensée occidentale.
Il s’agit d’un jeu d’alternance : tant que l’on s’attache à la compétitivité, la pratique ne "tient" pas. Telle est la dimension "en mouvance" du corps médial qui veut s’étendre au-delà de la limite de l’énonciation verbale et langagière ; l’idée de projet vs. rejet doit être remplacée par celle du trajet voire le processus du « chemin faisant » : frontière de la mésologie par excellence (dans la mesure où la tactilité repose sur l’interdépendance mutuelle des agents : on est touché en touchant).