Amphithéâtre Guillaume Budé, Site Marcelin Berthelot
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Résumé

Le Japon contemporain cristallise, en France ou ailleurs, tout un imaginaire de la déviance. Souvent caricaturé comme un pays laxiste en matière de pédocriminalité et d’objectification de la femme, il suscite un mélange d’attirance et répulsion extrêmement révélateur des ambiguïtés propres à la fabrique des stéréotypes : même négatives, les représentations collectives de l’Autre ne sont jamais dénuées d’une part de projection identificatoire. Il s’avère que l’idée réductrice et caricaturale selon laquelle « les Japonais préfèrent les poupées » explique en partie l’engouement massif des Français pour la pop culture japonaise. En 2004, Béatrice Rafoni baptise cet engouement « néo-japonisme » et souligne qu’il exprime le rêve de voir advenir un autre modèle de société.

Prenant le parti d’étudier ce rêve par la petite lorgnette d’un fantasme érotique, je m’appuierai sur le cas précis des poupées pour en faire les révélateurs d’une dynamique complexe et souvent même contradictoire de transferts à double sens. Ne regarde-t-on pas le Japon à travers le prisme des images que le Japon se fait de la France ? Toutes exotiques qu’elles puissent paraître, les représentations du Japon ne relèvent-elle pas d’un effet miroir déformant ?

Par une curieuse ironie du sort, le préjugé tenace – qui associe le mot Japon à l’image d’une femme changée en poupée sexuelle immature – est né dans le contexte d’une révolution nourrie d’emprunts à la culture française. La révolution des années 1960 voit en effet les Japonaises s’émanciper sous l’influence de créatrices et de penseurs qui contribuent par leurs travaux à diffuser une image plus ou moins fabulée de la France comme pays de la liberté. C’est en réponse à ce mirage qu’une esthétique de la poupée prend forme dans la culture populaire japonaise. En retraçant l’émergence et l’évolution de cette esthétique, des années 1960 à nos jours – de la poupée Licca aux love dolls, en passant par les kansetsu ningyō et les Gothic Lolitas – j’aimerais montrer la poupée comme un site stratégique de production de stéréotypes et comme l’outil ambivalent d’une médiation transculturelle.

Intervenant(s)

Agnès Giard

Anthropologue, chercheuse à l'université libre de Berlin

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