Résumé
La leçon récapitule les acquis des deux années de cours sur la norme religieuse et les questions d’autorité dans le monde grec. La thématique était vaste et c’est sous l’angle spécifique d’une interrogation sur la place des dieux dans la réflexion normative des Grecs qu’elle a été abordée. Le domaine de « la loi » fait partie des lieux où le prétendu miracle grec se serait cristallisé, comme en quelques autres où les Grecs auraient donné congé à leurs dieux. Au contraire, le point de vue ici adopté entendait prendre en considération le polythéisme comme matrice possible de cette créativité grecque, ou à tout le moins comme cadre propice à son épanouissement.
Par l’étude approfondie des usages du champ lexical de la themis et de celui du nomos en poésie et en prose jusqu’à la fin du Ve siècle, et dans les normes rituelles épigraphiques, on a mis au jour quelques-uns des mécanismes à l’œuvre dans les représentations de la norme : la puissance régulatrice portée par la themis et dont Zeus est le garant ; la référence à un nomos divin englobant qui peut s’identifier à Zeus lui-même ; l’importance de l’idée de répartition attachée au nomos, et de la dévolution de la part qui revient à chacun dans le cadre de la répartition des timai ; l’omniprésence de dikē, « justice », pour exprimer le cadre qui accueille tous les types de relations au sein des sociétés humaines et entre hommes et dieux ; l’émergence progressive du double champ lexical de la piété, celui de l’eusebeia et celui de l’hosion, relevant du besoin d’affiner l’expression d’une juste relation aux dieux.
L’importance du nomos dans cette approche du polythéisme par la norme (ou de la norme par le polythéisme !) n’est pas contradictoire avec le constat que le nomos n’était pas « sacré » en soi, même si un nomos theios peut être conçu comme l’horizon d’attente des nomoi des cités. Les seules occurrences de l’expression hieros nomos relèvent soit du fait que les décisions en question concernent les hiera (mais encore cela n’avait-il rien de systématique) ou, peut-être, comme l’écrit Platon, que le nomos en question était passé par la sanction directe de l’oracle de Delphes. La légitimité des nomoi humains et le juste, le dikaion, qui s’y rattache, s’ancre dans un ordre du monde conçu comme supérieur à eux. Cet ordre relève de principes de répartition adéquate dont les communautés doivent se saisir tout en conservant une large marge de manœuvre, de négociation et de discussion dans l’application de tels principes. Les dieux sont des partenaires présents dans le monde qu’ils ont mis en ordre par répartition.