Amphithéâtre Marguerite de Navarre, Site Marcelin Berthelot
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31 mars, première heure. Il n’y a pas de volonté et d’intellect sans appétit. Tel était le sens de la formule avancée le 24 mars. Pour Buridan, la volonté n’est pas seulement (si elle l’est) contrainte par le jugement de l’intellect, elle est aussi et d’abord sollicitée par le désir – l’appétit sensible – et court-circuitée par lui, quand le raisonnement pratique cède la place à l’enthymème. Un enthymème est un syllogisme incomplet, où l’une des deux prémisses, la mineure ou la majeure, est sous-entendue ou, en tout cas, reste non exprimée. Qu’est-ce qui distingue l’homme de l’animal ? À première vue, peu de chose. Tous deux sont « nécessités », l’un dans sa volonté, l’autre dans son appétit. C’est ce que suggère la proposition nécessitariste « intellectualiste » 159 (164) du syllabus de Tempier arguant que « la volonté de l’homme est nécessitée par sa connaissance comme la bête l’est par l’appétit » (« Quod voluntas hominis necessitatur per suam cognitionem, sicut appetitus bruti »). Aristote, lui, répond : ce qui distingue l’homme de l’animal, c’est la différence entre désir (humain) et appétit (animal), autrement dit le rapport au temps (De an. III, 10, 433b4-10). « L’intellect nous pousse à résister en considération de l’avenir, l’appétit nous entraîne dans la seule vue de l’immédiat ». Quand l’homme fait la bête, c’est qu’il gère enthymématiquement ses désirs. Dans le syllogisme mental qui sépare l’attente de l’accomplissement, le désir prend la place de la mineure ; il raccourcit le temps de réponse. L’intellect, quand il résiste, cherche au contraire à gagner du temps. La capacité de demeurer « en suspens » est donc ce qui distingue l’homme de l’animal. C’est pour penser philosophiquement cette distinction que Buridan reprend la distinction entre vouloir, velle, vouloir que ne pas, nolle, et ne pas vouloir, non velle : V, VN, NV, que nous avons vue émerger le 6 janvier (deuxième heure) dans le « carré du vouloir » anselmien. Quatre questions se posent : Que puis-je vouloir ? Que puis-je nouloir ? Que puis-je différer ? Peut-on vouloir et nouloir à la fois ? Pour traiter cette dernière on a proposé une étude de cas : l’analyse logique de l’adultère chez Buridan et Abélard, deux héros de la Ballade des dames du temps jadis. Buridan soutient qu’un être rationnel ne peut raisonnablement vouloir ce qui n’est pas « voulable ». Il ne peut donc vouloir et nouloir à la fois. Abélard distingue deux sortes d’adultère, volontaire et involontaire. Dans l’involontaire, il y a combinaison de V + VN, velle + nolle, en deux modes, l’un catégorique : « je veux un rapport avec telle femme » (V), l’autre optatif : « je voudrais qu’elle ne fût pas mariée » (VN) ; dans le volontaire, en revanche, celui de l’adultère de « gloriole », où l’on recherche la compagnie d’une femme parce qu’elle est « l’épouse d’un puissant », il y a combinaison de V et de NVN, à savoir : « je veux un rapport avec elle » (V) et « je ne voudrais surtout pas qu’elle ne fût pas mariée » (NVN). Dans les deux cas, cependant, il n’y a ni réel conflit de volontés, ni coexistence de désirs incompatibles ou de volontés incompossibles ou d’actes mutuellement exclusifs. Il n’y a pas à l’instant t, vouloir que p et nouloir que p, ou vouloir que p et vouloir que non-p. Pareilles situations existent. Ce sont elles qu’il faut étudier.

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