Résumé
Toute théorie de l’interprétation doit partir de l’expérience naïve et empirique : ce que le critique américain Michael Warner appelle uncritical reading, la lecture non critique et non professionnelle du lecteur standard. Il faut partir de l’attachement aux livres, qui justifie qu’on ait envie de lire. L’étude de la littérature a ceci en effet de particulier qu’elle se fonde sur un plaisir sensible.
Or, les plaisirs et les intérêts de la lecture sont multiples et hétérogènes. Ils vont dans tous les sens. Dans le régime moderne de la littérature, l’autonomie de la lecture fait de celle-ci une occupation fondamentalement solitaire et asociale. Chacun y suit son bon plaisir. Pascal Quignard parle d’une « "société inassociée" des lecteurs ».
La force d’individuation de la lecture est telle qu’elle est capable de provoquer une dissociation à l’intérieur de la personne, l’épreuve de cette dissociation étant la relecture : le texte lu dans l’enfance provoque à l’âge adulte des émotions et des jugements différents. Montaigne et Proust témoignent, chacun à sa manière, de l’incommensurabilité entre la valeur d’un texte et le plaisir qu’il donne. En tant qu’expérience du sensible, le livre se fait le révélateur de la pluralité des moi et du passage du temps.