Résumé
Même si John Ruskin veut trouver dans les œuvres d’art une valeur morale et spirituelle susceptible d’élever l’âme, il y a chez lui une valorisation de la sensation en tant que telle, qui explique l’intérêt de Marcel Proust pour sa pensée. Toutefois, il reste toujours chez Ruskin l’idée que le texte littéraire est le réceptacle d’une vérité révélée, à la hauteur de laquelle le lecteur doit se hisser en annihilant sa propre personnalité, et en cela la différence avec Proust est notable.
Pour l’écrivain français, en effet, il s’agit moins de comprendre un texte, comme le pensait Ruskin, que de laisser le texte agir en soi. La lecture est un processus de construction de soi par soi, le texte n’étant qu’un catalyseur ou un adjuvant externe de ce processus. L’œuvre ne propose pas un monde différent du nôtre, comme on le croit communément, mais une vision différente. L’œuvre nous appelle à une conversion du regard pour tâcher de voir comme le peintre ou l’écrivain.
Ce qui fait la valeur d’un livre n’est pas assimilable tel quel, comme la communication directe d’un savoir de l’auteur au lecteur. C’est au contraire le sentiment d’un manque que doit ressentir le lecteur. La lecture est fondamentalement décevante, et cette déception est le point de départ de la bonne lecture. De ce point de vue, la position de Proust est proche de celle de son contemporain Paul Valéry, qui formule une coupure radicale entre l’auteur, le texte et le lecteur.