Résumé
Dans son Cours de poétique, Paul Valéry expliquait que le sentiment esthétique était ce qui reste quand tout s’est effondré autour de nous. Il y a là une sorte de cogito esthétique, à la manière de Descartes : non pas « je pense, donc je suis », mais « j’éprouve la beauté, donc je suis ». Lire est une activité intense, qui emporte tout l’être. Mais qu’est-ce que lire ? Le terme en français désigne deux activités différentes, quoique complémentaires. Savoir lire, c’est d’abord savoir déchiffrer littéralement un texte écrit. Mais lire, c’est aussi savoir comprendre et interpréter ce texte. Cette nécessité de l’interprétation est fondamentale, car le sens d’un texte ne se donne pas de lui-même. Il y a plusieurs interprétations possibles d’un texte, dont certaines sont meilleures et plus valables que les autres. Ce qu’on nomme par commodité de langage le vrai sens d’un texte est le résultat d’une construction complexe faite par le lecteur. Comme l’explique Ortega y Gasset, pour pouvoir parler, nous devons taire beaucoup de choses, le silence est une condition de la parole, et le lecteur, pour reconstituer le message, doit « construire laborieusement [en lui-même] toute la réalité mentale non dite » dans le texte. « Lire avec sérieux et sincérité » : voilà tout l’enjeu. C’est une question d’épistémologie et d’éthique. Le Saint Jérôme d’Antonello da Messina illustre fort bien cette « tâche utopique » de la lecture. Et aujourd’hui, quand se multiplient les lectures de type inquisitorial et la critique radicale des textes (cancel culture, wokism, entre autres), il convient de replacer ces nouvelles façons de lire dans un panorama historique et culturel des modes de lecture et d’interprétation.