Résumé
Comme le rappelait Bachelard, l’écrit détient une puissance particulière que n’a pas l’oralité : il permet de fixer des états. C’est particulièrement vrai pour l’enfant, qui se forme et se cristallise autour des lectures. Si le nombre de témoignages littéraires sur les lectures enfantines a explosé avec l’apparition du romantisme, c’est parce que la littérature change alors de statut : le romantisme a fait de la littérature la compagne de l’intime. Elle devient la langue même de la psyché et du moi le plus secret. Désormais, les lectures de l’enfant tracent la carte même de l’enfance, le trajet que parcourt le jeune être. L’enfant grandit avec les livres, par les livres.
Chateaubriand se montre très sensible à cette évolution de l’enfant parallèle à celle des lectures. Ce sont les lectures qui accompagnent, voire déclenchent la découverte de la sexualité par l’enfant, et ces lectures d’enfance déterminent l’œuvre future. Sans doute les lectures du jeune Chateaubriand n’auraient-elles pas eu sur lui le même effet si elles n’avaient été faites en latin, langue de l’inscription lapidaire, de l’écrit par excellence, celui qui est gravé dans le marbre et qui se grave aussi dans la vie du jeune être. La langue morte est une langue forte : elle confère à l’enfant une profondeur temporelle dont il ne saurait autrement avoir la sensation physique. Chateaubriand montre aussi que la mauvaise lecture est une écriture : lire, c’est parfois mal lire, et mal lire, c’est en quelque sorte écrire. Même si les livres n’agissent pas toujours dans le sens désiré par les maîtres, cette action clandestine des livres, parallèle à l’enseignement officiel, n’en fait pas moins partie du système plus global de l’éducation par la lecture.