Résumé
Lorsqu’on interprète, lorsqu’on lit, quelle place donner aux détails par rapport à l’image d’ensemble ? On peut avoir tendance à les négliger au profit d’une interprétation globale. On peut au contraire vouloir construire à partir de détails pris ici et là une interprétation nouvelle, susceptible de contredire l’interprétation globale, voire de la détruire : méthode déconstructionniste. Toutefois, le sens caché légitime n’est pas celui qui inverse le sens obvie, mais celui qui le pousse plus loin, l’affine, le radicalise dans une direction inattendue et construit une cohérence nouvelle congruente avec ce qu’on sait de l’auteur ou de son époque. L’interprétation est un art, au sens que donne à ce terme Paul Valéry, parce qu’il y a plusieurs manières d’interpréter, certaines meilleures que d’autres, selon quatre catégories : le contresens, le faux-sens, les interprétations peu probables mais pas impossibles, et enfin les interprétations les plus probables. La faute à éviter à tout prix est la surinterprétation, qui ouvre une pente glissante.
Un texte est comme une personne. Inversement, un écrivain peut se lire comme un texte. Que faire en ce cas des détails biographiques qui semblent infirmer son engagement pour l’émancipation ? Que faire, par exemple, de la participation financière de Voltaire à la Compagnie des Indes, dont l’une des activités était la traite négrière ? Une personne comme un texte ne sont pas nécessairement cohérents : rechercher la pureté sémantique de l’œuvre est aussi absurde que d’exiger chez l’être humain une pureté morale ou idéologique. Il y a toujours des scories, un résidu inintégrable, qui n’infirme pas le reste, mais le complexifie.
La prolifération anarchique des détails et leur incohérence font partie des motifs de la condamnation des romans par les philosophes et les moralistes, jusqu’à Emmanuel Kant. La méfiance envers les débordements de l’imagination forme une longue tradition depuis les représentations de la tentation de saint Antoine jusqu’aux lectures de don Quichotte.