Résumé
L’évolution du statut littéraire des contes est postérieure à l’évolution même de la production imprimée et du monde de l’édition. Dès la fin du XVIe siècle, les textes simplifiés à vocation populaire se multiplient. Quand l’édition devient industrielle, que les livres sont colportés et que leur faible prix les rend accessibles, on peut en donner aux enfants. Le livre utilisable par des enfants préexiste ainsi à la littérature qui leur est spécifiquement destinée.
Le premier grand livre de littérature d’imagination en français écrit spécifiquement pour les enfants fut en 1699 Les Aventures de Télémaque de Fénelon, ce qui n’empêcha pas ce récit destiné à des enfants d’être lu par les adultes comme un texte à enjeux adultes. Dans cette sorte de fan fiction qu’est le Télémaque, qui s’introduit dans les interstices de l’Odyssée, Fénelon met en place comme une érotique du roman : c’est le désir qui crée la fiction. Au XVIIIe siècle commence à s’imposer l’idée que la fonction de la littérature consiste à créer un autre monde, ouvert à l’évasion, et que ce n’est pas là sa faiblesse, comme le prétendait depuis le XVIe siècle la traditionnelle critique du roman, mais sa force.
En témoigne Goethe, évoquant dans Poésie et Vérité ses lectures d’enfant, ou plus tard Dickens dans David Copperfield. Un jeune Allemand du XVIIIe siècle et un jeune Français lisent alors peu ou prou les mêmes textes : une littérature populaire commune voyage à travers l’Europe. La lecture d’enfance devient un lieu commun du récit autobiographique. Gaston Bachelard le dit avec force : « toute notre vie est lecture ». Lire, c’est entrer dans le mécanisme du développement de la personne. Par l’écrit, l’enfant apprend à fixer des états et à se repérer dans une mémoire et une durée.