Résumé
Rien d'étonnant à ce que celui qui s'est construit dans la désobéissance et le refus de l'autorité, ait très tôt vu la sienne contestée. La virulence de l'opposition à Boulez fut à la mesure de l'intransigeance de l'homme et du pouvoir, réel ou fantasmé, qu'on lui prêtait. Nous reviendrons sur les ressorts d'une polarisation de la vie musicale française.
Dès les concerts du Domaine musical, fondés en 1954, se dessine une opposition esthétique dont le chef de file le plus actif et brillant est le journaliste du Figaro Bernard Gavoty. L’opposition esthétique s’accompagne d’une opposition institutionnelle : refus de subvention publique au Domaine musical, hostilité du Conseil national de la musique. L’imbrication entre divergences esthétiques, conflit institutionnel et inimitié personnelle culminera dans l’affrontement avec André Jolivet.
De lutte entre l’institution (radio, instances gouvernementales) et l’underground (la niche privée du Domaine musical), l’opposition prend dans les années 1960 l’allure d’une lutte au sein-même de l’institution, lorsque, à la suite du ralliement d’André Malraux, Boulez est écouté au ministère, grâce à des relais d’influence comme Gaëtan Picon ou Emile Biasini. Se constitue alors au sein-même du ministère un courant « contre-révolutionnaire », autour de Marcel Landowski. La victoire de celui-ci aboutit en 1966 au départ de Boulez, qui renonce à toute fonction en France.
À son retour, dans les années 1970, à l’initiative de Georges Pompidou, l’opposition prend une autre dimension. Jusqu’ici, Boulez contre l’institution, c’était David contre Goliath. Désormais, l’IRCAM, financé par la puissance publique mais aux frontières de l’appareil d’Etat, Boulez ayant posé comme condition de ne pas dépendre directement du ministère, sera non plus dénoncé comme le jouet d’un agitateur culturel à l’influence somme toute circonscrite, mais celui d’un autocrate détenant tous les leviers de la création. L’hostilité ne vient plus seulement de milieux conservateurs attachés à la tonalité, mais aussi d’avant-gardistes s’estimant lésés, comme Iannis Xenakis ou Jean-Claude Eloy.
Se rejoignent alors les deux oppositions : celle de l’institution qui entend garder le contrôle de son administration et fustige ce qu’elle considère comme son détournement à des fins personnelles, et celle des anti-modernes, qui prônent un retour à une esthétique plus consonante et dénoncent désormais en Boulez un homme de pouvoir et un compositeur officiel.