Résumé
Au long de la carrière de Pierre Boulez, l’activité créatrice est assortie de rôles professionnels complémentaires destinés d’abord à favoriser la diffusion de son œuvre et des œuvres de la modernité qu’il soutient : fondateur et directeur d’institutions, chef d’orchestre et directeur musical. Un autre rôle s’ajoute sporadiquement puis plus systématiquement, celui d’enseignant et de pédagogue, sur deux versants, celui du professeur et celui du médiateur cherchant à augmenter le coefficient d’intelligibilité des œuvres présentées en concert auprès d’un public profane. L’enseignement au Collège de France est à l’intersection des activités de pédagogue et de théoricien-poéticien de son propre travail.
Le problème qui sera examiné est le suivant. Multiplier les rôles a une courbure typique. C’est d’abord le produit d’une nécessité, c’est un moyen de faire des apprentissages multiples, et c’est enfin une ressource dans la recherche d’un contrôle plus élevé sur les facteurs de production et de diffusion du travail de création. Mais cette démultiplication a des coûts évidents : les tâches multiples peuvent certes être complémentaires sur le plan fonctionnel, mais elles sont rivales sur le plan de l’énergie à dépenser et de l’allocation du temps donné aux différentes tâches à exercer.
Je montrerai comment, dans le cours de cette carrière multiactive, l’activité compositionnelle de Boulez acquiert ou renforce des caractéristiques propres à rendre plus complémentaires que rivales, mais non sans difficultés et ambiguïtés, toutes ces fonctions qui, pour chacune d’entre elles, pourraient remplir un agenda complet d’activité.