Résumé
Faute d’adopter le regard de la recluse où de s’abandonner à la tentation fictionnelle d’Arsenio Frugoni, il s’agit désormais de suggérer que la littérature normative peut documenter, par contraste ou empreinte négative, cette logique narrative de l’expérience des lieux entendus comme « surface plurielle d’événements » et antérieure de ce fait à leur réduction à l’unicité de la storia albertienne d’un espace. On teste cette hypothèse à partie de trois corpus classiques de l’histoire communale et post-communale. D’abord, les statuts et réglementations urbaines dont les récits d’espace documentent l’expérience sociale des modes d’habiter et de qualifier la ville. Ensuite, les déclarations fiscales qui obligent les contribuables à s’exposer, se justifier et se raconter. Enfin, la mise en liste des gouvernants et de ceux que l’on exclue du gouvernement. Dans les trois cas, il est question de se déclarer – c’est-à-dire énoncer, prononcer, dénoncer. Alors que l’on se livre aujourd’hui, sans feinte apparente, à la transparence virtuelle de la société d’exposition, comment penser ce moment ancien où, pour le dire avec Walter Benjamin, « le cours de l’expérience a chuté » ? C’est sur l’analyse de son magnifique texte « Le conteur » (1936) que les leçons suivantes auraient embrayé, si l’enseignement n’avait pas été interrompu.