On a procédé, dans le sixième cours, à l’évaluation de ces « gouttes de grammaire » et des « nuages de philosophie » qu’elles condensent, en notant, au passage, que Stanley et Williamson sont les premiers à critiquer leurs arguments linguistiques en faveur de l’intellectualisme. On a distingué ici plusieurs types d’objections, d’ordre linguistique et métaphysique : Stanley et Williamson revendiquent une certaine syntaxe et une certaine sémantique pour expliquer leurs analyses des attributions de savoir faire, mais ne peut-on en invoquer d’autres ? Peut-on si aisément réduire toutes les questions enchâssées à des « questions-wh [1] » ? N’y a-t-il pas d’autres sémantiques possibles du savoir faire ? Celui-ci est-il nécessairement réductible à un savoir propositionnel ? N’y a-t-il pas lieu de tenir compte des deux significations lexicales que comporte, certes, dans la langue anglaise, le seul verbe « know », mais que traduisent en allemand « kennen » et « wissen », et en français, « savoir » et « connaître » ? Le savoir propositionnel est confronté au problème bien connu de l’opacité référentielle, mais les attributions de savoir faire ne sont-elles pas plutôt « transparentes » ? Nous sommes prêts, dans certains cas, à attribuer une forme de connaissance pratique ou de savoir faire aux animaux (Médor sait (comment) rattraper la balle), mais avons plus de mal à les juger assez sophistiqués conceptuellement pour posséder des connaissances « propositionnelles [2] ». Ce qui n’est pas dire que l’on ne pourrait argumenter – c’est ce que soutiennent Stanley et Williamson – en faveur de la thèse selon laquelle attribuer un savoir faire F va de pair avec la possibilité d’attribuer de fausses croyances sur la manière de faire F, lesquelles sont à l’évidence propositionnelles.
On s’est aussi demandé, à la suite notamment de Ian Rumfit [3], si le savoir propositionnel impliqué dans les questions ne suppose pas une bien plus grande complexité. Admettons que (6) « Hannah sait monter à vélo » soit de la même famille linguistique – « savoir » précède une particule interrogative qui, à son tour, précède une infinitive – que : (7) « Hannah sait qui appeler en cas d’incendie » ou (8) « Hannah sait pourquoi voter pour Gore ». En quoi cela consiste-t-il au juste de « connaître » une proposition qui réponde aux questions formulées dans (7) ou dans (8) ? Si l’on veut pouvoir dire de quelqu’un qu’il sait « pourquoi F », il ne doit pas seulement connaître le contenu propositionnel d’une réponse vraie à la question « pourquoi F ? », il doit aussi savoir que la proposition est une vraie réponse à la question. N’y a-t-il pas lieu encore de douter que le savoir faire repose sur des liens entre des propositions et des personnes, là où il s’agirait plutôt de penser ces liens en termes d’activité ? N’est-il pas plus naturel, en bien des cas, de recourir à l’infinitif plutôt qu’à l’interrogatif ? N’y-a-t-il pas un affadissement regrettable si l’on applique un seul et même schéma, celui des questions enchâssées, à toutes les attributions de savoir pratique, et certaines différences réelles qui s’imposent, par exemple, entre ce qui relève du simple savoir faire et ce qui relève de l’apprentissage du savoir faire, ou du « savoir de savoir faire », lequel justifie que dans certaines langues soient accentuées les modalités de la connaissance mise en œuvre ? On sait nager, dira-t-on naturellement, mais si l’on veut souligner les efforts prodigués pour la traversée à la nage, par exemple d’une rivière difficile, on emploiera bien alors le « comment » : on sait comment nager (sous-entendu, quel type de nage employer, à quelle vitesse, etc.).
Références
[1] Jeremy Prantl, « Knowing how and knowing that », Philosophy Compass, 3/3, 2008, p. 451-470.
[2] Stanley & Williamson, art. cit., p. 439.
[3] Ian Rumfit, « Savoir faire »,Journal of Philosophy, vol. 100, no 3, 2003, p. 158-166.