Pourquoi donc avoir choisi cette année de travailler sur l'histoire de l'assyriologie ? Sans doute par désir de changement, après deux années passées à étudier la Babylonie sous les successeurs de Hammu-rabi. Plus encore, par souci de ne pas accorder une attention trop exclusive au monde paléo-babylonien, auquel a été consacré mon enseignement depuis quatre ans. Docet omnia : la devise du Collège de France est généralement comprise comme signifiant que toutes les disciplines doivent y être enseignées. Mais chacune de nos chaires peut aussi appliquer ce mot d'ordre à elle-même, en traitant de sujets aussi variés que possible, dans les limites de nos compétences bien entendu. Mon choix de cette année se situe dans le prolongement d'études historiographiques que j'ai déjà menées depuis une vingtaine d'années. Il m'a aussi été inspiré par trois récentes commémorations : celle des 150 ans de l'École pratique des hautes études, fondée en 1868, celle des 90 ans de la découverte d'Ugarit en 1929 et celle, plus discrète, des 85 ans de la découverte de Mari en 1933.
Le plus souvent, les historiens de l'assyriologie font le récit des premières fouilles archéologiques en Mésopotamie et des péripéties du déchiffrement des écritures cunéiformes, se recopiant souvent les uns les autres : j'ai cherché à utiliser le plus possible les écrits des acteurs eux-mêmes, ainsi que la présentation que firent les contemporains des découvertes en cours, de façon à éviter le biais d'une présentation téléologique. J'ai mis l'accent sur la naissance et le développement de l'assyriologie en France, l'histoire de la discipline ayant été plus développée en Angleterre, en Allemagne ou aux États-Unis. Par ailleurs, je ne me suis pas limité à la question des déchiffrements : j'ai voulu étudier l'émancipation progressive de l'assyriologie au sein de l'orientalisme, en tant que champ d'enseignement et de recherche portant sur le Proche-Orient préclassique. On a donc étudié la façon dont se sont constituées des collections de tablettes, la naissance de publications spécialisées (revues, séries, etc.), l'apparition de formations spécifiques, etc. On a rencontré des savants célèbres, comme Renan, Thureau-Dangin, ou Dhorme. D'autres qui le sont moins, comme Oppert, Scheil ou Fossey. Et d'autres bien oubliés, comme Amiaud, Ménant, ou Ledrain. J'ai exclu de mon tour d'horizon les savants qui vivent encore, et me suis arrêté en 1975, pour deux raisons. C'est le moment où j'ai véritablement débuté en assyriologie, l'année 1974/75 ayant été celle de ma maîtrise, avant que je ne passe l'agrégation d'histoire en 1975/76 et ne devienne l'assistant de Paul Garelli. Et c'est aussi le moment où moururent les deux assyriologues français les plus importants de leur génération, respectivement René Labat le 3 avril 1974 et Jean Nougayrol le 23 janvier 1975. Il m'a semblé que le choix de cette date permettait de distinguer le travail de l'historien de la narration de ses souvenirs par un témoin [1].
Références
[1] Le manuscrit du livre qui est issu de cet enseignement a déjà été remis à l'éditeur ; il était programmé pour paraître en 2022 dans la série Docet omnia, coéditée par le Collège de France et les Belles-Lettres.