La longévité des matériaux est un sujet d’actualité d’une extrême importance. La tenue des matériaux d’usage présents dans notre vie quotidienne, leur performance, fatigue, durée de vie en fonctionnement, ont des aspects affectifs, économiques, écologiques et vitaux et les chercheurs s’attachent à découvrir, élaborer des matériaux réparables, raccommodables, cicatrisables et même autoréparables tels que ceux existant dans la nature. Sur le plan industriel et technologique, la durabilité (à long terme) des matériaux est une priorité, et de nombreux domaines d’application peuvent tirer bénéfice des recherches concernant les matériaux autoréparables (construction, transports, ameublement, médecine, articles de sports, etc.). Cette leçon résume l’état de l’art du domaine nommé par nos collègues anglo-saxons « self-healing materials » et analyse les différents concepts permettant d’élaborer sur mesure des matériaux autoréparables et des matériaux à réparation stimulée.
L’endommagement d’un matériau est un processus multi-échelles qui débute à l’échelle moléculaire par la rupture de liaisons chimiques suivie par des phénomènes de glissement et de fendillement qui ont lieu aux échelles mésoscopiques et microscopiques, pour finir par la rupture franche du matériau à l’échelle macroscopique. Le secret permettant l’auto-guérison des matériaux est que leur conception doit impliquer des propriétés adaptatives mettant en jeu l’utilisation d’une chimie réversible, d’une dynamique, de façon à programmer une réponse à l’endommagement, réponse provenant du niveau le plus fondamental, le niveau moléculaire, la liaison chimique. Dans ce contexte, les matériaux autoréparables sont construits en mettant en jeu des liaisons covalentes ou iono-covalentes réversibles, des liaisons de coordination et toutes les interactions supramoléculaires (liaisons hydrogène, van der Waals π-π, interactions électrostatiques). Sachant que l’autoréparation peut être passive, autonome ou balistique, nous avons décrit et discuté différents exemples de matériaux. Les systèmes auto-cicatrisants aujourd’hui les plus répandus sont ceux contenant des microcapsules qui se fracturent sous l’effet d’une contrainte mécanique, thermique, chimique, ou photochimique, afin de libérer un principe actif (catalyseurs, molécule active) qui génère un processus chimique de cicatrisation. Ces stratégies permettent d’élaborer des revêtements autonomes de polymères sur acier, des résines époxy cicatrisantes via l’utilisation de la réversibilité des réactions de type Diels-Alder par exemple, des revêtements hybrides sol-gel anticorrosion sur métal, des bétons ultra-hautes performances auxquels les grains de ciment très peu hydratés confèrent un caractère auto-cicatrisant. L’autoréparation balistique des matériaux est associée à l’existence de réseaux ioniques (ionomères, multi-couches de polyélectrolytes) qui présentent une forte dynamique des liaisons assurant la cohésion du matériau. Cette dynamique peut être exaltée par l’impact d’un objet générant une friction puis un transfert d’énergie suivi d’un échauffement. Ces processus mécanothermochimiques permettent de concevoir des matériaux résorbant l’impact d’un projectile dans des temps très courts (de quelques secondes à quelques dizaines de minutes). Nous avons également présenté des membranes hybrides auto-adaptatives constituées de nanoparticules d’or et de polyélectrolytes qui, soumises à la pression d’un objet, récupèrent complètement leurs formes et propriétés mécaniques en seulement quelques heures. Pour finir cette leçon, nous avons centré notre propos sur l’autoréparation bio-inspirée à la fois en décrivant les mécanismes de réparation de certains matériaux du monde vivant (fibronectine, byssus des moules, cuticule protecteur à l’abrasion des filaments souples du byssus) et les matériaux synthétiques construits en utilisant les principes généraux d’assemblage des matériaux naturels. En prenant exemple sur le modèle de la connectine, protéine des muscles striés du squelette, on peut élaborer des matériaux couplant des propriétés mécaniques telles que l’élasticité, la robustesse, la dureté, et pouvant récupérer après contrainte leurs propriétés mécaniques initiales en quelques heures. C’est le subtil couplage entre les liaisons covalentes de la structure primaire et des jonctions inter-modules (cette partie se déforme, s’étire mais ne casse pas) et les liaisons supramoléculaires (cette jonction se brise et se reforme réversiblement) assurant la formation d’une structure secondaire qui permet de générer un matériau solide se déformant plastiquement et absorbant de l’énergie. de même, c’est la combinaison, d’une part, de domaines de précollagènes souples et déformables, d’autre part, de domaines latéraux durs connectés par des zones sacrificielles dans lesquelles la complexation de cations métalliques par des fonctions histidines assure la cohérence des filaments, qui permet au matériau constituant les fibres du byssus d’être à la fois très extensible, très dur et un bon absorbant des chocs. Il nous faut remarquer que la coordination-décoordination des métaux par des complexants biologiques est souvent au centre de nombreux phénomènes de bioréparation. C’est sur ces concepts simples que, très récemment dans la littérature, sont apparus des polymères hybrides à propriétés mécaniques modulables. Le séminaire du professeur Leibler illustre cette dernière thématique en présentant de nouveaux matériaux hybrides à base de résines époxy et de sels de zinc, façonnables à volonté, réparables et recyclables sous l’action de la chaleur.