Ce cours décrit les stratégies de synthèse de matériaux inorganiques et hybrides basées sur l’utilisation de gabarits anisotropes, à base d’organogélateurs moléculaires. Les organogélateurs sont des petites molécules qui, au contact de certains solvants(la nature du solvant dépendant de la structure de la molécule gélifiante), forment des gels physiques à de très faibles concentrations. L’organogélation résulte de la formation de réseaux d’assemblages supramoléculaires dont les structures anisotropes peuvent prendre des morphologies très variées : plaquettes, rubans, fibres, hélices, cylindres, fagots de fibres. Les forces mises en œuvre au cours de la construction de ces gels sont individuellement faibles. Elles résultent de liaisons hydrogène, donneur-accepteur ou de coordination, d’interactions Pi, électrostatiques, de type van der Waals ou d’interactions solvophobes (hydrophobes). Le but de cette leçon était de familiariser les auditeurs avec ce domaine assez mal connu (même des chimistes) et de montrer à la fois l’esthétique des structures obtenues et l’intérêt fondamental et appliqué des matériaux résultants.
Les gels physiques résultants de ces interactions supramoléculaires coopératives sont thermoréversibles, déformables, et sont utilisés pour la pharmacologie, la cosmétique, la vectorisation, l’ingénierie tissulaire, l’alimentation, l’hygiène, la stabilisation des essences et des lubrifiants, la récupération du pétrole en cas de fuite, la restauration des œuvres d’art, la peinture...
D’autre part, ces gels sont imprégnables par des précurseurs de polymérisation minérale dans les conditions de la chimie douce. On peut donc, par minéralisation, transcrire (répliquer) les structures complexes anisotropes de ces gels pour former des matériaux de composition chimique très variée (oxydes métalliques, verres, chalcogénures, métaux, hybrides organo-minéraux...). Après avoir décrit les grandes familles d’organogélateurs (dérivés d’acides aminés, d’amides de la cyclohexane diamine, de l’acide cholique, de l’urée, des stéroïdes, etc.) et les solvants permettant d’accéder à ces édifices anisotropes, nous avons illustré la leçon avec des organogélateurs plus exotiques, à base de fullerènes, de porphyrines et phtalocyanines modifiées, de clusters de structure tambour tel que [Bu-Sn(O)O2CR]6 ou des polymolybdates [Mo5O15(RPO3)2]2 de type Strandberg). Nous avons également décrit le mécanisme de formation de structures fibreuses sur la base d’expériences réalisées par microscopie de force atomique, et mis en évidence qu’une seule molécule d’organogélateur perturbe plusieurs centaines de molécules de solvant afin de former le réseau lâche du gel physique. Nous avons ensuite discuté des stratégies et mécanismes de minéralisation inorganique ou hybride utilisés dans la littérature pour élaborer des répliques de silice, d’organosilices, d’oxyde métalliques très divers (TiO2, Ta2O5, ZrO2...). Ces stratégies peuvent être déclinées suivant trois voies principales :
- la post-imprégnation dans laquelle l’organogel est préformé puis imprégné par un précurseur de la phase minérale, un hybride, ou même un polymère ;
- le co-assemblage in situ, au cours duquel les précurseurs de l’organogel et les précurseurs de la phase minérale ou hybride sont combinés dès la première étape ;
- l’auto-assemblage d’organogélifiants qui sont déjà des précurseurs hybrides pouvant minéraliser par polycondensation. Dans ce cas le réseau du gel est formésimultanément via des liaisons non-covalentes et des liaisons covalentes.
Ces trois voies peuvent être suivies de lavages et de traitements thermiques pour conduire à la formation de fibres uniques, de fibres creuses, de fagots de fibres. En particulier, nous avons montré qu’en contrôlant la cinétique de polycondensation de silices sol-gel, les interactions silicate-organogel et les interactions silicate-solvant, on peut orienter la nucléation de la phase minérale vers la surface des fibres ou la localiser au sein de la solution. Ces stratégies permettent d’obtenir soit des fibres minces isolées ou des tubules, soit des rubans mésoporeux, des tubes épais ou des fagots de fibres. Les composés obtenus présentent des propriétés intéressantes pour les sciences associées aux domaines de l’environnement (catalyseurs énantio- sélectifs et capteurs sélectifs, systèmes photochromes rhéo-commutants) et de l’énergie (nanomatériaux fibreux pour les batteries ou les membranes).