Amphithéâtre Marguerite de Navarre, Site Marcelin Berthelot
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Philippe Ortel voit dans Le Rêve d’un curieux un face-à-face du poète avec la mort, ce duel prenant la forme d’une séance de pose chez un photographe. La déception de la mort est dite à travers la déception du poète photographié. Ce sonnet décrit l’ennui métaphysique de ce sujet immortel, après la mort de Dieu. Mais au-delà de cette lecture, c’est toute la vie moderne qui prend la dimension de cette mort indéfinie.

La rédaction de ce poème est contemporaine de celle du Peintre de la vie moderne ; celui-ci n’est pourtant pas un photographe, mais un dessinateur d’actualité, activité que la photographie ne tardera pas à rendre obsolète. Le choix de Baudelaire est, là encore, paradoxal, mais tout ce texte pourrait être lu comme le prolongement du Salon de 1859, comme un traité de l’anti-photographie, par exemple : « […] dans l’exécution de M. G. se montrent deux choses : l’une, une contention de mémoire résurrectionniste, évocatrice, une mémoire qui dit à chaque chose : "Lazare, lève-toi !" ; l’autre, un feu, une ivresse de crayon, de pinceau, ressemblant presque à une fureur. » Baudelaire opposera d’ailleurs Guys à Nadar ; le crayon et le pinceau du peintre de la vie moderne rivalisent avec le soleil du photographe. C’est, en quelque manière, une lutte entre l’œuvre de mémoire et l’instantané. Contre l’immédiateté de la photographie, Baudelaire oppose la résurrection de la peinture. L’essayiste associe donc la photographie à la décadence moderne, et revalorise du même coup des techniques rapidement devenues archaïques, dans son rejet de la photo ; c’est le cas notamment du kaléidoscope, qui est pris en bonne part dans Le Peintre de la vie moderne, du phénakisticope dans la Morale du joujou, ou de la phantasmagorie de La Soupe et les Nuages.

Et pourtant, malgré cette méfiance, Baudelaire écrit à sa mère qu’il « voudrait bien avoir [s]on portrait ». Il y a, chez lui, aussi un désir de photographie (c’est, d’ailleurs, l’une des dernières longues, belles et intimes lettres à sa mère). Baudelaire y évoque un bon photographe du Havre, sans le nommer. On pourrait penser à Warnod, qui est exposé au salon de la photographie, et que Baudelaire aurait pu connaître à cette occasion.

En dépit de toutes ses réserves, Baudelaire a posé pour Nadar, puis pour Carjat et Neyt, avec ambivalence encore, mais aussi complaisance : il ne s’est pas refusé (hasard d’un ami photographe, le plus médiatique) ; en conséquence, nous possédons un nombre non négligeable et même important de photographies de lui. Le sujet photographié est partiellement auteur de la photo, par la pose, par la photogénie ; il y a donc bien une forme de complicité maligne. Des quatorze photos que l’on a retrouvées de Baudelaire, on peut remarquer que le poète était photogénique ; et c’est là aussi l’un des aspects de sa modernité.

Mais, en définitive, c’est probablement l’immobilité de la photographie qui provoque la résistance la plus forte de Baudelaire à ce nouveau médium. S’il « hai[t] le mouvement qui déplace les lignes », Baudelaire aime le mouvement dans son culte des images. On comprend aussi mieux ce portrait de trois quarts réalisé par Nadar, flou, raté, insoumis à la pose, où Baudelaire a bougé, résistant à la photo et surtout à l’immobilité.

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