Amphithéâtre Marguerite de Navarre, Site Marcelin Berthelot
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Tous les premiers fragments de Fusées vont dans le sens de cette lecture maistrienne de la ville, vision à la fois positive et négative, euphorique et dysphorique, extase et horreur, ambivalente encore, du rapport à la foule comme prostitution – profane ou sacrée : « Le plaisir d’être dans les foules est une expression mystérieuse de la jouissance de la multiplication du nombre. / Tout est nombre. Le nombre est dans tout. Le nombre est dans l’individu. L’ivresse est un nombre. » Cette importance du nombre est remarquable chez Maistre, dans Les Soirées de Saint-Pétersbourg notamment : « Le nombre, messieurs, le nombre ! […] Le nombre est la barrière évidente entre la brute et nous […]. Dieu nous a donné le nombre, et c’est par le nombre qu’il se prouve à nous, comme c’est par le nombre que l’homme se prouve à son semblable. » Baudelaire dénonce certes la mysticité du paganisme, mais le principe de l’union mystique, la prisca theologia de Maistre, relie la charité chrétienne au sacrifice païen : tous deux reposent sur le même thème de la réversibilité.

Baudelaire rapporte tout à la prostitution comme vérité universelle ; on pense à ce fameux aphorisme dans Mon cœur mis à nu : « L’être le plus prostitué, c’est l’être par excellence, c’est Dieu, puisqu’il est l’ami suprême pour chaque individu, puisqu’il est le réservoir commun, inépuisable, de l’amour. » Dieu appartient à tous : voilà de nouveau une provocation du poète, mais, derrière cette proposition, réside la figure du Christ, que Paul, dans la Première Épître aux Corinthiens comparait à une prostituée spirituelle.

Pour Baudelaire, le caractère religieux, sacré, mystique du rapport du poète aux foules urbaines modernes est incontestable : ivresse, noces et communion, « poésie et charité ». Le schéma paulinien est transposé à la grande ville. Le sublime moderne est celui du « promeneur solitaire » non pas dans les forêts, mais parmi les foules urbaines, c’est-à-dire du « rôdeur parisien ».

Ces noces avec la foule urbaine sont décrites en termes semblables dans Le Peintre de la vie moderne, à propos de Constantin Guys. Le « parfait flâneur » est Guys, mais c’est aussi Manet. Dans La Corde, dédié à Manet, Baudelaire écrit : « Ma profession de peintre me pousse à regarder attentivement les visages, les physionomies, qui s’offrent dans ma route, et vous savez quelle jouissance nous tirons de cette faculté qui rend à nos yeux la vie plus vivante et plus significative que pour les autres hommes. » Le poète, dans Le Spleen de Paris, est souvent dans la position d’un observateur ou d’un voyeur. Ce voyeur central, mais caché, voyant mais non vu, est exemplaire dans Une mort héroïque, mettant en scène le prince et le bouffon, le bouffon comme prince du prince, et le prince comme bouffon du bouffon, avec, derrière eux, au-dessus d’eux, le poète comme prince et bouffon supérieurs.

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