Amphithéâtre Marguerite de Navarre, Site Marcelin Berthelot
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Baudelaire ne prendra pas la défense de Manet ni en 1863, lors du scandale du Déjeuner sur l’herbe, exposé au Salon des Refusés, ni en 1865, lors du scandale d’Olympia, toile exposée au Salon, en dépit d’une proximité indéniable des dernières années parisiennes. Baudelaire a possédé, semble-t-il, un ou deux Manet. Mais il y a chez Manet quelque chose à quoi Baudelaire résiste, malgré leur intimité.

Par opposition à Chateaubriand et à Wagner, qui sont des modèles, dans un monde riche, Manet n’est que le premier, non un modèle, dans un art décrépit, dégradé, la peinture, qui n’est plus riche. Cette sentence jugée souvent sévère à l’endroit du peintre est au fond une leçon d’humilité, applicable au poète même. La décrépitude, c’est le progrès moderne : Baudelaire dénonce, à ce titre, « le sommeil radoteur de la décrépitude » des thuriféraires du progrès dans L’Exposition universelle. La Corde, publié dans le Figaro le 7 février 1864, a pour dédicace « À Édouard Manet », mais la dédicace disparaît lors de sa publication dans L’Artiste le 1er novembre suivant. C’est un poème en prose assez insaisissable, énigmatique par son ironie. Faut-il en faire une lecture référentielle ou non ? Doit-on y voir une relation fidèle à la réalité, ou bien une pure fiction ? Au nom de quoi, par ailleurs, la dédicace a-t-elle été supprimée ? Peut-être est-ce à la suite d’une demande de Manet. Dans le poème, le peintre est présenté comme optimiste et généreux, voulant le bien de l’enfant, dont il a pris la charge, confiant en la nature. Mais une seconde lecture est possible, qui insiste sur l’insensibilité, le contentement de soi de l’artiste – « paradis » de l’atelier / « taudis paternel » –, avec une « sagesse abrégée », simpliste, bourgeoise, paternaliste. Le peintre peut ainsi apparaître de plus en plus déplaisant, exploiteur de l’enfant et responsable par ses réprimandes de la mort du petit. Le poète reste, quant à lui, hors cadre, portant un commentaire ironique sur l’art, sur l’artiste, curieux des foules anonymes, mais insensible à la souffrance manifeste devant lui. On peut alors y voir une condamnation d’un art insensible à la réalité, condamnation implicite donc tout à la fois de Manet, mais aussi de Baudelaire.

Venons-en pour terminer à Guys. La bizarrerie de ce choix de Baudelaire a souvent été relevée, dernièrement par Calasso, pour qui Guys était un inconnu, qui n’avait aucune protection académique, un reporter pour images qui ne tolérait même pas de voir imprimé son propre nom. Baudelaire en fait un « peintre de mœurs », c’est-à-dire un être hybride, « d’esprit littéraire », philosophe, poète, romancier, moraliste : observateur, flâneur, philosophe, appelez-le comme vous voudrez. [...]Quelquefois il est poète ; plus souvent il se rapproche du romancier ou du moraliste ; il est le peintre de la circonstance et de tout ce qu’elle suggère d’éternel. » Le Salon de 1846 liait comique et beau moderne, dans la beauté paradoxale du trivial, et insistait sur la dualité. Cette dualité du beau est reprise dans Le Peintre de la vie moderne et dépend de la théorie duelle de la beauté depuis 1846 : « C’est ici une belle occasion, en vérité, pour établir une théorie rationnelle et historique du beau, en opposition avec la théorie du beau unique et absolu [...]. Le beau est fait d’un élément éternel, invariable, dont la quantité est excessivement difficile à déterminer, et d’un élément relatif, circonstanciel, qui sera, si l’on veut, tour à tour ou tout ensemble, l’époque, la mode, la morale, la passion. »

Ce cours nous a permis d’ouvrir quatre dossiers et d’examiner à travers eux le rapport dual de Baudelaire à la modernité : la presse, la photo, la ville, l’artiste – avec de nombreux recoupements. C’est une modernité qui est prise de biais, par des chemins de traverse. Toutes les choses modernes sont objets d’une attitude ambivalente de la part de Baudelaire, d’un Odi et Amo permanent, d’un sentiment oscillant sans cesse entre horreur et extase.

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