La presse moderne, à grand format et grand tirage, apparaît quand Baudelaire est adolescent, avec La Presse et Le Siècle ; sa vie adulte est contemporaine de son développement et de son essor. La presse est un modèle du rapport que l’auteur des Fleurs du mal entretient avec le monde moderne. Baudelaire est un homme toujours en colère dès qu’il s’agit de la presse, et reproche notamment à Arsène Houssaye ses multiples interventions sur les textes lors des publications, ce qui ne l’empêche pas de faire des concessions. Aussi chacun, auteur et éditeur, corrige-t-il de son côté, apportant parfois des remaniements contradictoires et des incohésions. Aux yeux de Houssaye, les poèmes de Baudelaire ne sont ni plus ni moins que de la copie qu’il corrige, comme le reste de son journal.
Houssaye finit par suspendre la parution des poèmes en prose sous la forme du feuilleton, au prétexte que Baudelaire ne lui donnait pas que des inédits. C’est un éditeur qui se trouve aux antipodes de ce qu’est Baudelaire ; il est passé de la bohème à la bourgeoisie et spécule dans l’immobilier, au moment de l’haussmannisation de paris. La suspension de la publication des poèmes dans La Presse est à l’origine de leur brouille. Selon certains lecteurs contemporains, la dédicace de Baudelaire à Arsène Houssaye est un cadeau empoisonné, une pique, une mystification pleine d’une ironie dont l’intéressé ne se serait pas même rendu compte. C’est une hypothèse de lecture intéressante, mais pas tout à fait convaincante, dans la mesure où Houssaye a considérablement soutenu Baudelaire, en lui accordant notamment le rez-de-chaussée de son journal, plutôt que la rubrique « Variétés », initialement envisagée. C’était ainsi une promotion qui lui était faite ainsi qu’une reconnaissance. Le directeur n’a par ailleurs jamais censuré les poèmes qui s’en prenaient clairement à sa profession et à ses lecteurs.
Il paraît plus légitime de faire l’hypothèse que les deux premiers feuilletons parus dans La Presse ont provoqué des réactions qui n’ont pas toujours été favorables et qu’ils ont choqué certains lecteurs ; l’argument du caractère non inédit de certains poèmes a pu servir de prétexte pour suspendre la publication, à un moment où la position de Houssaye devenait fragile dans le quotidien. L’hypothèse est d’autantplus probable que le même type de mésaventure adviendra à Baudelaire dans le Figaro en 1864. Le poète justifie alors la suspension de la publication de ses poèmes, comme il l’écrit à sa mère, parce qu’ils ennuyaient tout le monde.
Le Chien et le Flacon peut être lu, à ce titre, comme une illustration de cette aventure ; Baudelaire y décrit toute la violence de l’agression envers le public et la presse ; d’une chose lue, on passe à une moralité désagréable. Le public est pris à partie dès la première page. Cette haine de la presse pourrait être associée au dernier Baudelaire, mais ce serait oublier que celui-ci, beaucoup plus jeune, avait envisagé de se suicider, en raison notamment des nouveaux journaux. « Anywhere out of the world » serait un monde rêvé, sans le moindre journal. La relation de Baudelaire avec la presse est faite de fascination et de dégoût.