Amphithéâtre Marguerite de Navarre, Site Marcelin Berthelot
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Baudelaire raille la plupart des titres de l’exposition de peinture, qu’il trouve ridicules, et relevant trop souvent du pittoresque ou de l’anecdotique ; ceux-ci sont le principal symptôme d’une vraie crise de la représentation. S’il se montre en accord avec la théorie esthétique de l’étonnement, prêchée par Edgar Poe, Baudelaire dénonce vertement, dans ces titres, une volonté trop ouverte d’épater et d’étonner, à défaut de faire rêver le spectateur. Ce n’est donc pas à la photographie que Baudelaire s’en prend de prime abord ; celui-ci fait davantage le procès d’un public, qui refuse d’être émerveillé.

Sur le fond, Baudelaire s’oppose à la photo, en laquelle il voit le comble et la cause de la dégradation contemporaine de l’art. Il lui fait trois griefs. Le premier est technique : la photographie copie littéralement la réalité (l’objet impressionne la plaque sensible), elle produit une confusion auprès du public (et auprès des artistes) entre la représentation exacte de la réalité et l’art ; le deuxième est commercial, mercantile : en vingt ans, la photographie est devenue une industrie et l’image photographique un objet de consommation sur les boulevards ; le troisième est social ou politique : la photographie, qui se confond avec la démocratie, transforme la société. Combinant ces trois facteurs, la photographie provoque une révolution morale et même métaphysique, ou en est le meilleur indice.

La photographie appelle, aux yeux du poète, une décadence morale et théologique. Les traces du divin sont effacées par ce nouveau veau d’or. L’avènement de cet art signe la sortie du monothéisme pour une nouvelle religion, dont Baudelaire énonce le credo : le photographe remplace Dieu, en ce qu’il écrit avec le soleil ; « Daguerre est son messie ». Mais derrière Daguerre, Baudelaire vise son ami Nadar.

En réalité, les arguments de Baudelaire contre la photographie ne font guère preuve de nouveauté (même dans la critique métaphysique, car le rapprochement avec le déicide est fréquent), notamment lorsqu’il décrit le photographe comme un peintre raté (cliché qui tourne dans l’air du temps). Il dénonce également l’usage érotique ou pornographique de la photo, en la jugeant « obscène ». On retrouve des arguments tout à fait consonants, à la fois dans La Revue des deux mondes, émanant de son ennemi Gustave Planche, et dans le Figaro.

Presse, photographie, imprimerie sont les grands vecteurs de la décadence de la société. Baudelaire demande alors que la photographie reste une simple techniqueauxiliaire, se contentant d’un rôle subalterne, d’une fonction documentaire, et qu’elle demeure « la servante des sciences et des arts [...], la très humble servante, comme l’imprimerie et la sténographie, qui n’ont ni créé ni suppléé la littérature », mais qu’elle ne déborde pas dans l’art.

Ces considérations sur la photographie nous amènent à lire différemment Le Rêve d’un curieux, l’avant-dernier poème des Fleurs du Mal. Ce poème est dédié à Nadar, mais comme toujours, la dédicace est ambiguë. C’est un cadeau empoisonné. Éric Darragon a proposé un rapprochement judicieux de ce poème avec la photographie ; l’expérience de la mort y est décrite comme celle de l’attente avant un spectacle, et peut s’assimiler à une attente devant une chambre noire.

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