Résumé
Nul ne pourrait prétendre aujourd’hui avoir tout lu. Il y eut cependant un temps où une telle prétention était encore possible, juste après l’invention de l’imprimerie. Le cours passe en revue quelques exemples de ces rêves humanistes de bibliothèques parfaites : la Bibliotheca universalis de Conrad Gessner, la Libraria d’Anton Francesco Doni, le Catalogus illustrium virorum Germaniae de Jean Trithème, et l’Illustrium majoris Britanniae scriptorum summarium de John Bale.
Par principe, il n’y a pas de bibliothèque parfaite. Mais le rêve de la bibliothèque parfaite parcourt les siècles, le rêve d’une bibliothèque qui signifierait l’accord entre le monde et l’esprit qui le pense.
« Institut d’orientation énergétique universelle », « organe de restitution destiné à des âmes humaines blessées », « orientation métaphorique dans l’espace et le temps » : ces trois expressions disent assez bien la dimension spirituelle, mystique et cosmique de la bibliothèque Warburg. C’est la totalité de l’expérience mentale qui est reconstituée par la bibliothèque de Warburg, avec une forme en homologie avec la boîte crânienne. On a là une illustration d’une bibliothèque parfaite. Mais confier à la bibliothèque une mission aussi sublime, c’est forcément risquer l’échec. Le rêve de la bibliothèque parfaite risque fort de tourner au cauchemar.
La frontière est ténue entre le rêve et le cauchemar. Le cas le plus illustre de ce cauchemar de la bibliothèque totale, c’est celui que propose Borges dans « La Bibliothèque de Babel », une bibliothèque rendue monstrueuse par la tyrannie des chiffres. La Bibliothèque de Babel est un cauchemar pour deux raisons : d’une part, parce que les nombres s’y multiplient au-delà du raisonnable et, d’autre part, parce que cette bibliothèque n’est pas ordonnée ; elle n’est pas classée. Par ailleurs, elle pose des problèmes d’ordre métaphysique.