Résumé
La question que pose l’archive est celle de son lieu : pourquoi est-elle là ? Pourquoi est-elle encore là ? Autrement dit, puisque nous avons défini l’archive comme l’ensemble des bibliothèques matérielles ou visibles, qu’est-ce qui fait durer les bibliothèques matérielles, et donc, à travers elles, les bibliothèques invisibles dont elles sont le reflet ?
La réponse réside précisément dans cette coïncidence, soulignée par Jacques Derrida dans son texte, Mal d’archive : une impression freudienne (1995), entre le commencement et le commandement. L’archive est un commencement institué par un commandement. C’est un commencement qui fait entrer ce qui le précède dans l’invisibilité. Un commencement qui invisibilise le reste, et l’invisibilise par commandement. Là demeure le secret de la stabilité de l’archive : son rôle dans l’édifice du pouvoir – d’un pouvoir, tout au moins.
On pourrait croire toutefois que la stabilité de l’archive réside ailleurs : dans son matériau. Les bibliothèques matérielles, bâties de pierre, de bois et de papier, ont pour elle la stabilité et la durée. L’erreur toutefois serait de croire que le matériau suffit à préserver la bibliothèque des outrages du temps. D’abord, le matériau n’est pas éternel. Il est lui-même sujet aux accidents de l’histoire. Quand on pense aux accidents touchant aux bibliothèques, le premier qui vient à l’esprit est sans doute l’incendie. L’incendie de la bibliothèque est un lieu commun de l’imaginaire des bibliothèques, comme l’a montré par exemple Umberto Eco dans son célèbre roman, Le Nom de la rose.
Les bibliothèques matérielles, donc, n’existent pas toutes seules. S’il n’y avait une force qui tient ensemble les documents qu’elles contiennent, une force qui participe à la survie de la bibliothèque, celle-ci tomberait en ruine ou verrait ses documents réduits en poussière. La stabilité de l’archive réside dans une force qui lui permet de subsister. L’archive a besoin d’une force créatrice pour venir à l’existence, mais aussi d’une force continuatrice pour lui permettre de continuer, comme dans le concept cartésien de la création continuée : si Dieu ne soutenait pas l’existence des êtres à tout moment, ceux-ci disparaîtraient.