L’administration universelle du même groupe de vaccins à l’ensemble de la population, en l’absence de contre-indication, répond à un certain nombre de postulats assez approximatifs : chaque individu vacciné répondrait immunologiquement de manière identique (titre d’anticorps et réponse cellulaire) et présenterait des effets secondaires minimes. Chaque individu est exposé à un risque similaire par rapport à l’agent infectieux contre lequel il est vacciné, donc le titre et le nombre des doses administrées afin d’obtenir une réponse protectrice pourraient être identiques. Ce paradigme « simple » sous-tend le Programme élargi de vaccination (PEV), adopté par la plupart des nations. Il a néanmoins permis de bâtir au XXe siècle une large couverture vaccinale amenant le contrôle – voire l’éradication pour la variole – de plusieurs endémies infectieuses, y compris dans des zones défavorisées de la planète où il est le modèle opérationnel de base. Il a globalement bien fonctionné si l’on excepte l’échec du BCG dans l’élimination de la tuberculose pulmonaire, particulièrement dans les régions défavorisées et à haute prévalence d’infection par le VIH. Restera-t-il le modèle de la vaccination au XXIe siècle ? Subira-t-il des modifications, des inflexions vers la « personnalisation » et jusqu’à quel point ? La force du paradigme de la vaccination universelle est l’obtention d’une couverture exhaustive de la population, réduisant le nombre de cas individuels et induisant une « immunité de groupe » avec réduction du portage qui bloque la circulation de l’agent pathogène et permet d’envisager l’élimination de la maladie, voire l’éradication de l’agent étiologique. Il existe des conditions à son succès : les effets secondaires doivent être limités au maximum afin de garantir l’acceptabilité (vaccin « risque zéro »), et le nombre de doses ne doit pas nécessiter de nombreux ajustements en fonction de l’histoire médicale et vaccinale des individus vaccinés. Ce paradigme fait également apparaître des faiblesses sur lesquelles il est bon de réfléchir afin de les traiter :
- une réalité individuelle : variété du risque individuel devant l’agent infectieux, variété de la qualité de la réponse immunitaire individuelle au vaccin, variété du risque individuel de réaction secondaire au vaccin.
- une réalité sociétale médicale : les diverses composantes de la société nécessitent une certaine personnalisation des vaccins, notamment pour les nouveau-nés, les femmes en âge de procréer, les patients immunodéprimés, les personnes âgées.
- une réalité socio-anthropologique :la société évolue avec une tendance à la primauté de l’individu sur la collectivité, une perte de mémoire générationnelle de la gravité des grandes endémies, une remise en cause de l’obligation vaccinale universelle, une crainte d’effets secondaires, une primauté du principe de précaution. Une permanence de la pauvreté (tiers-monde, quart-monde des pays industrialisés, migrations) crée de larges poches de non-vaccination. C’est à travers cette grille de lecture que doit être analysée la récente épidémie de rougeole en France.
- une réalité microbiologique enfin :émergence de variants sérotypiques échappant aux vaccins actuels comme cela a été observé avec le pneumocoque ou le virus grippal.