Ce cours examine la même période historique que le précédent, à savoir le dernier tiers du XIXe siècle. Les musées des puissances impériales bénéficièrent de la mainmise coloniale, par le biais des grandes expéditions scientifiques et/ou punitives organisées par la métropole, en Afrique, en Asie et en Océanie. Par exemple, lors du pillage de Benin City en 1897, les troupes britanniques démantelèrent des plaques en pleine bosse en bronze ou en laiton, datant du XVIe siècle au XVIIIe siècle, qui ornaient le palais royal, et les transportèrent en Angleterre, enrichissant le British Museum. Les bronzes de Benin City racontaient des histoires, constituaient des bibliothèques visuelles : les populations locales, privées de ces œuvres, furent privées de leur mémoire.
Des collections dites « ethnographiques » vinrent ainsi alimenter les musées dans une double logique. D’une part, les colonisateurs avaient bien conscience de modifier les pratiques culturelles et, comme l’expliqua l’anthropologue britannique Sir Ross en 1903, il était nécessaire de documenter avant de détruire. D’autre part, la collecte de témoignages matériels et la prise en note des pratiques permettaient de connaître les populations pour mieux les maîtriser, économiquement et politiquement. Ce n’était donc la dimension esthétique des objets qui prévalait.
Felix von Luschan, responsable des collections africaines du musée ethnographique de Berlin, explicita la logique commune aux directeurs des musées : ces derniers pouvaient enrichir leurs collections à moindre coût, grâce aux expéditions punitives coloniales. Ainsi, le siège royal du Dahomey fut immédiatement exposé au musée ethnographique du Trocadéro, à Paris : son cartel mentionna le général Alfred Dodds, qui mena l’expédition punitive en 1892 et offrit le butin de guerre au musée. Une grande émulation se mit en place entre Londres, Paris et l’Allemagne pour posséder et exposer d’importantes collections ethnographiques.