La première heure a été consacrée à un résumé détaillé des thèses de SuZ § 7 sur la structure phénoménale de ce que le cours sur le Sophiste appelle l’Ansprechbarkeit (l’« advocabilité »), i.e. l’appréhensibilité du « quelque chose » en tant que « quelque chose ». Le nom de la structure synthétique qui, faisant voir l’être-ensemble de x et de y, ouvre chez Aristote la possibilité de « recouvrir » x et par là-même ouvre celle du faux (ψεῦδος), est le (λέγειν) τὶ κατὰ τὶνος, le (dire) quelque chose de quelque chose. L’expression de « structure » étant employée par Ernst Tugendhat, dans Tí kata tinós. Eine Untersuchung zu Struktur und Ursprung aristotelischer Grundbegriffe (1958), on a examiné ses thèses et les commentaires de P. Aubenque dans sa recension. Après avoir rappelé les deux sens de κατηγορεῖν chez Aristote (accuser x de y ; attribuer y à x), on est passé à l’analyse du De anima, III, 6, 430b26-31. Le texte a été examiné ligne par ligne en confrontant les traductions françaises de Tricot, Barbotin, Thillet et Bodéüs avec les traductions latines de Jacques de Venise (translatio vetus du De anima, sur le grec) et de Michel Scot (translatio nova, accompagnant la traduction du Grand Commentaire d’Averroès). L’analyse du textus 26 du livre III du De anima et du commentaire correspondant d’Averroès a été l’occasion de s’arrêter sur la distinction entre la « représentation » ou « conception » (formatio intellectiva, informatio, ar. taṣawwur) et l’« assentiment » (fides, ar. taṣdīq), introduite dans le commentaire 21, comme « la plus notoire (famosior) des différences qui caractérisent l’action de l’intellect ». On en a proposé une reconstruction archéologique en partant de la Logica Avicennae, traduite par Avendauth, distinguant deux modes de connaissance : selon l’intellect (secundum intellectum), c’est-à-dire ici la représentation, et selon la « croyance » – littéralement la « crédulité » (secundum credulitatem), c’est-à-dire l’assentiment. On a suivi ce duo chez Gundissalinus, avec la distinction entre imaginatio et credulitas, chez Ghazālī, dans le Maqāṣid al-falāsifa (traduit par Avendauth et Gundissalinus sous le titre De intentionibus philosophorum), chez Albert le Grand, avec la distinction entre formatio per intellectum (conception) et fides (assentiment). On a conclu ce parcours en examinant la formulation de la distinction entre science et opinion chez Buridan, où l’on retrouve non seulement le taṣdīq sous le vocable latin d’assensus, mais encore la notion épistémique de « crainte de l’opposé », clairement héritée d’Avicenne (« scientia est assensus firmus et opinio est assensus cum formidine ad oppositum »). On a achevé la lecture du § 7 de SuZ en soulignant que, lisant le Perihermeneias, Heidegger interprétait l’élément dit « grec » de la pensée d’Aristote en faisant intervenir un autre texte : le De anima. Ce fait nous a conduit à examiner ce qui dans l’interprétation heideggérienne du logos apophantikos, comme dans le dossier foucaldien de « l’opération apophantique », relevait archéologiquement de l’histoire des corpus, élément central de que nous appelons avec Granel traditionis traditio.
Le lien entre le Perihermeneias et le De anima est fait par Aristote lui-même. Le premier chapitre du Perihermeneias introduit une structure articulant les mots parlés (φωναὶ), les états de l'âme (παθήματα τῆς ψυχῆς, passiones animae), et les choses (πράγματα) : le « triangle sémantique d’Aristote ». Dans le Perihermeneias, Aristote ne développe pas son dispositif en s’interrogeant sur le type de rapport existant entre mots, concepts et choses – il renvoie au De anima. « Tout cela, dit-il, a été traité dans notre livre de l'Âme, car cela intéresse une discipline différente » : ἄλλης γὰρ πραγματείας (alterius est enim negotii). Dès le premier chapitre du Perihermeneias la distinction entre le logique et le psychique – ce qui portera l’opposition structurante pour le jeune Heidegger entre logicisme et psychologisme – est apparue comme programmée. On est donc revenu sur la question du « lieu de la vérité ». Quel est le lieu du vrai selon le Perihermeneias ? La réponse est double : l’âme et la voix. Elle est donnée en 16a9-13. Il en va de même dans l’âme (ἐν τῇψυχῆ) et dans la voix (ἐν τῇφωνῆ) : le vrai et le faux consistent dans une composition et une division. Le « verbe » est ce qui assure le bouclage de la « structure » du legein ti kata tinos. Analysant le passage définissant ce qu’est un verbe nous avons montré que, dans sa fine pointe (16b9-10), il avait été depuis Boèce objet de surtraductions – celui-ci rendant καὶ ἀεὶ τῶν ὑπαρχόντων σημεῖόν ἐστιν, οἷον τῶν καθ’ ὑποκειμένου par : et semper eorum quae de altero dicuntur nota est, ut eorum quae de subiecto vel in subiecto. En bref, les traductions latine et modernes (française, anglaise, allemande) introduisent dans la définition du verbe, censée ouvrir l’exposé des rudiments de sémantique nécessaires à la mise en place de la forme propositionnelle, les éléments d’une théorie de la prédication mise en place dans les Catégories : la distinction entre « être dit d’un sujet » (ut de subiecto dici) et « être dans un sujet » (ut in subiecto dici), introduite par Aristote au chapitre 2, en 1a20-21, avec ces mots : « Parmi les étants, les uns sont dits d'un sujet, mais ne sont en aucun sujet », – distinction qui fonde la distinction entre prédication univoque (attribution synonymique) et prédication accidentelle (attribution paronymique), parachevée par les médiévaux et tous ceux qui l’ont révisitée au fil des siècles en s’appuyant sur Avicenne.