Amphithéâtre Marguerite de Navarre, Site Marcelin Berthelot
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La thèse de Foucault faisant de l’apophansis aristotélicienne ce qui « donne fondement » au discours philosophico-scientifique peut être présentée largo sensu comme heideggérienne. Partant de la conférence de Montréal sur Nietzsche d’avril 1971, on a cependant suivi chez Foucault l’émergence d’un modèle « nietzschéen » de l’invention de la connaissance et de la vérité distinguant, comme dans les LVS, origine (Ursprung) et invention (Erfindung). Le rejet foucaldien de l’origine est un rejet de la naturalité, un rejet de la nature humaine, donc du désir naturel de connaître invoqué par Aristote. Selon D. Defert, en opposant dans la conférence de Montréal le paradigme d’Aristote à un paradigme nietzschéen, Foucault s’oppose à l’interprétation heideggérienne de l’histoire de la philosophie. 1) Il « réinscrit l’Ouverture heideggérienne dans l’histoire de la métaphysique inaugurée par Platon », en réponse aux deux volumes de Heidegger sur Nietzsche, qui prétendent inscrire Nietzsche « dans la tradition métaphysique qu’il a voulu subvertir ». 2) Il termine sa conférence par une violente diatribe contre « l’idéologie du savoir comme effet de la liberté », où il est difficile de ne pas reconnaître les thèses de Heidegger sur la liberté comme essence de la vérité, dans le chapitre 4 de Vom Wesen der Wahrheit, présentant « l’apérité du comportement » (qui rend possible la « conformité » entre pensée et choses), comme « fondée dans la liberté ». Après une enquête sur les notions d’Offenheit (ouverture, apérité) et de Verhalten (comporetement) chez Heidegger, et une reprise des thèses de Vom Wesen der Wahrheit sur l’Ouvert comme τὰἀληθέα, le non-voilé, nous avons confirmé, contre Defert, nos réserves sur l’utilisation du Nietzsche de Heidegger par le Foucault des LVS, mais souscrit, en revanche, à son interprétation du « contournement critique » de Heidegger par Foucault, fondée sur l’idée d’un déplacement du « partage heideggérien de la philosophie », opéré en s’appuyant sur Hésiode plutôt que sur Héraclite, sur les sophistes plutôt que sur les présocratiques, sur l’histoire plutôt que la philologie, et surtout sur un rejet de l’« idéologie du savoir comme effet de liberté ». Cela posé, nous avons insisté sur ce que Foucault et Heidegger avaient en commun : rien de moins que l’alêthêia et le logos apophantikos. C’est cela seul qui importe pour penser leur relation respective au Moyen Âge. Cela seul aussi qui compte du point de vue du champ de présence foucaldien. Si l’on peut balancer sur les termes définissant la relation de Foucault à Heidegger (« contournement critique », « confrontation », « contre-récit »), c’est en effet chez Heidegger que Foucault peut trouver de quoi problématiser sur sa ligne de faîte le rapport entre alêthêia et lêthê. De même, c’est chez lui que figure le texte canonique ouvrant si l’on ose dire la possibilité d’une interprétation authentiquement « apophantique » du logos apophantikos : le § 7, section B, de Sein und Zeit, traduit dès 1964 par R. Boehm et A. de Waelhens.

 Heidegger rejette l’interprétation moderne, néokantienne (Rickert, Windelband) et postbrentanienne du λόγος comme jugement, qu’il s’agisse du jugement comme liaison ou synthèse (Verbinden), ou comme prise de position (Stellungnahme) : acquiescement (Anerkennen) ou refus (Verwerfen). Dès ses premiers travaux il critique les théories psychologistes du jugement de Wundt, Maier, Brentano, Marty et Lipps. Le § 7 de Sein und Zeit propose une analyse de ce que signifie λόγος, marquée par le souci de revenir au véritable sens de la notion de logos apophantikos chez Aristote. Le paragraphe est articulé sur deux grandes thèses : la première est que « le logos est un faire-voir » (Sehenlassen), la seconde que « le logos n’est pas le lieu primaire de la vérité ». On a examiné les deux, en renvoyant ici ou là aux analyses préparatoires du cours du semestre d'hiver 1925-1926, Logik, Die Frage nach der Wahrheit, (Logique, la question de la vérité), sur la fonction « délotique » du logos (Rede, discours) : manifester (δηλοῦν), faire voir. Selon Heidegger, le logos comme apophansis a une structure synthétique : il fait voir quelque chose (etwas) avec quelque chose (mit etwas), comme quelque chose (als etwas) – ce pourquoi il peut être vrai ou faux. La thèse dite de la « vérité correspondance », de la vérité comme « accord », ou « conformité » (formulée par Tarski en référence à Γ 7, 1011b 26 et alléguée par Bouveresse contre Foucault), n’est pas aristotélicienne. « L’être-vrai du λόγος comme ἀληθεύειν veut dire soustraire à son retrait, dans le λέγειν comme ἀποφαίνεσθαι, l’étant dont il est parlé et le faire voir comme non-retiré, (ἀληθές) le découvrir : Ent-decken ». Le § 11 du cours de 1925-26 dénonce trois erreurs traditionnelles sur la vérité : T1 : le lieu de la vérité est la proposition ; T2 : la vérité est l’accord de la pensée avec l’étant ; T3 : ces deux énoncés trouvent leur origine chez Aristote. Pour établir le caractère erroné de l’interprétation traditionnelle, le § 7 de SuZ pose deux questions, auxquelles il apporte réponse. On les a examinées en détail. La première question est Q1 : Qu’est-ce qui est vrai au sens grec ? S’appuyant sur Aristote, Heidegger répond : R1 : ce qui est vrai premièrement ce sont les sens. Or les sens ne « jugent » pas. Est donc « vraie » au sens grec (et plus originellement que le λόγος) l’αἴσθησις : « l’accueil pur et simple, sensible de quelque chose ». La deuxième question est Q2 : Qu’est-ce qui au sens grec est vrai au sens le plus pur et le plus originel ? La réponse de Heidegger, tirée d’Aristote, est R2 : « au sens le plus pur est vrai le noein (νοεῖν), l’accueil purement et simplement considératif des déterminations d’être les plus simples de l’étant comme tel ». Les textes allégués en faveur de R1 et R2 sont deux passages du De anima : De an. 427 b 11 sq. pour R1 ; De an. 430a26 sq. pour R2.