La première heure du cours a été consacrée à l’analyse de R1 et R2. On a d’abord considéré les textes supportant R1 (De anima, III, 3, 427b11-14 ; II, 6, 418 a 7-25 ; II, 6, 418a20-25 ; III, 3, 428b18-22), et expliqué en quoi, tout en ne « jugeant » pas, les sens sont toujours dans le vrai quand à leur sensible propre : l’ouïe « découvre » toujours du son, la vue, de la couleur, le goût, une saveur. On a ensuite examiné R2, et sa source : 430a26. Il s’agit du passage du De anima sur « l’intellection des indivisibles », affirmant que dans l’intelligence des objets simples (τῶν ἀδιαιρέτων νόησις) il n’y a pas d’erreur, la vérité et l’erreur ne se situant que dans la composition des notions (σύνθεσίς νοημάτων). On a suivi l’élaboration de cette thèse au Moyen Âge, en analysant la théorie de la « triple opération de l’intellect » : O1 : l’appréhension de la quiddité (quod quid est) ou essence (essentia) en elle-même ; O2 : l’opération de l’intellect qui compose et divise ; O3 : le « raisonnement » (operatio ratiocinandi), où la raison « procède du connu à l’inconnu » (de notis ad ignota). Ces formules, empruntées à Siger de Brabant et Thomas d’Aquin nous ont permis de mettre une nouvelle fois en évidence l’influence d’Avicenne. La distinction entre quid est et esse vel non esse renvoie, en effet, à la distinction avicennienne d’essence et d’existence ; la description du raisonnement comme procédant du connu à l’inconnu à la Logica Avicennae, traduction latine de l’Isagoge du Šifā’ par Avendauth (éditée critiquement par F. Hudry en 2018). L’élévation par Albert le Grand de l’inférence cognitive de notis ad ignota au rang de « méthode commune à toute science » témoigne d’une volonté de savoir propre au Moyen Âge, illustrant, au passage, le bien-fondé du schéma narratif de la translatio studiorum, avec ses deux filières de traduction/transmission : gréco-latine et arabo-judéo-latine. L’Isagoge du Šifā’ prolonge l’enseignement des Introductions à la philosophie (Προλεγόμενα τῆς φιλοσοφίας) des écoles néoplatoniciennes des ve et vie siècle, comme le font les textes de Gundissalinus et d’Alfārābī sur la « division » des sciences, qui souvent l’accompagnent. Les textes « didascaliques » des années charnières du xiiie siècle où se met en place la « philosophie universitaire », qui exploite à fond la connexion entre logique et psychologie, héritent à travers ces textes de ce qu’on pourrait appeler l’univers d’Ammonius, avant même la traduction de son Commentaire sur le Perihermeneias par Guillaume de Moerbecke en 1268 et son utilisation par Thomas d’Aquin dans son Expositio, au début des années 1270. La distinction des trois opérations de l’intellect sert aux scolastiques à établir l’ordo de la discipline logique. A la formation des concepts simples correspondent les Catégories, aux jugements, le Perihermeneias, aux raisonnements, les Analytiques, les Topiques et les Réfutations sophistiques.
La seconde partie de la leçon a permis de reprendre l’examen de R2. Heidegger affirme que, pour Aristote, le « pur νοεῖν » ne peut jamais « recouvrir », qu’il peut « tout au plus être non-accueil, ἀγνοεῖν »,ne pas « suffire à l’accès pur et simple ». Il peut, dit-il, « faire défaut » ; il ne peut « être faux ».Qu’est-ce que cet ἀγνοεῖν ?Ce n’est pas dit en De anima, 430a26, mais en Métaphysique, Θ 10, un des textes sur lesquels J. Bouveresse a, en l’espèce de 1051b 7-10, fondé sa critique de la réduction foucaldienne de l’être-vrai à la véridiction. On a analysé ce texte, puis on est revenu à Heidegger. Le cœur de l’interprétation heideggérienne du « pur νοεῖν » dans le § 7 de SuZ est l’articulation entre le « délotique » et « l’apophantique », qui commande la thèse sur l’origine du faux. Ce qu’on appelle la « vérité du jugement » est seconde par rapport à la structure synthétique du faire-voir apophantique. En fait, il y a deux sortes d’Ent-decken (découvrir) : l’un qui ne comporte pas, l’autre qui comporte la possibilité du Ver-decken (recouvrir). Le δηλοῦν (découvrement) qui ne peut recouvrir est le « pur νοεῖν » ; l’autre est le logos apophantique, l’aufweisende Sehenlassen, qui peut être découvrant ou occultant. La structure synthétique du découvrement apo-phantique autorise les deux. Le découvrir qui fait-voir une chose = x (etwas) en recourant à autre chose = y (mit etwas), ouvre ce faisant la possibilité de recouvrir x, de placer y devant x et de faire voir x comme ce qu’il n’est pas. Il ouvre la possibilité du faux. La « vérité du jugement » n’est que « le cas opposé du recouvrement ». Faute de temps, il n’a pas été possible de compléter l’analyse du § 7 de SuZ par les textes du cours de 1924-1925 sur le Sophiste (GA 19, § 80 : 601), où Heidegger caractérise l’etwas als etwas, le « caractère-d’en-tant-que » (Als-Charakter) comme la « catégorie logique proprement dite » (die eigentlich logische Kategorie), ni par ceux du cours de 1925-1926, où il souligne que la structure du λόγος τινος, le Miteinander, l’etwas-als-etwas, est l’acquis principal du Sophiste (GA 21 : 142 : Die Rede ist Rede über etwas und von etwas).