Amphithéâtre Marguerite de Navarre, Site Marcelin Berthelot
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Résumé

Par l’évocation de la tombe et de la mort menaçant l’amour et le bonheur, le poème « En Arles » de Paul-Jean Toulet pourrait fournir un assez bon commentaire des Bergers d’Arcadie de Nicolas Poussin. Le distique fantaisiste cité dans la séance précédente proposait, quant à lui, de désacraliser le tableau par le burlesque. Telle serait la première manière de mal interpréter le tableau : par la désacralisation.

La seconde manière de mal interpréter est tout opposée : elle opère par la sacralisation excessive en faisant du tableau la clé d’un mystère suprême et en le mettant au service d’un message extérieur. « Un trésor est caché dedans », dit le laboureur de La Fontaine à ses enfants, désignant le terrain qu’il leur donne en héritage. Le bon lecteur travaillle le texte et le fait travailler en le retournant en tout sens pour y trouver le trésor qu’il recèle. Toutefois, « d’argent, point de caché » : l’erreur serait de chercher un trésor extérieur à l’œuvre.

Les ouvrages de Gérard de Sède, compilés et développés ensuite par Michael Baigent, Richard Leigh et Henry Lincoln, veulent à toute force déchiffrer dans le tableau de Poussin l’énigme du Graal et du trésor des Templiers. Ces lectures délirantes s’appuient sur des données historiques faussées et des discours ésotéristes mêlant néopaganisme, médiévalisme, orientalisme, celtisme et théosophie, où l’influence de René Guénon est sensible, et qui ont largement irrigué la littérature et la bande dessinée fantastiques du XXe siècle. Dans ces discours, l’Inde et en particulier le Tibet apparaissent souvent comme de nouvelles Arcadies spirituelles. Voltaire déjà, dans La Princesse de Babylone, imaginait de façon fantaisiste une fabuleuse Arcadie indienne peuplée de bergers éternellement heureux.

Les interprétations extravagantes de l’œuvre de Poussin ne disent rien du tableau lui-même et de sa force intrinsèque. La bonne lecture ne doit pas faire disparaître le tableau au profit d’un sens qui lui serait extérieur. Elle a plutôt pour mission de rendre encore plus visible et précis un sens déjà apparent. Il ne s’agit pas d’aller au-delà des apparences, de jouer aux rébus, aux charades ou aux anagrammes, mais de travailler les apparences elles-mêmes pour les rendre encore plus signifiantes.