Amphithéâtre Marguerite de Navarre, Site Marcelin Berthelot
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Résumé

Les lectures extravagantes des Bergers d’Arcadie de Poussin peuvent servir à définir en creux ce que devrait être une bonne lecture.

Pour bien lire, à la différence de certains décodages de type kabbalistique, il ne faut ni éliminer la surface de l’œuvre ni se dégager de sa structure. La bonne manière de lire prend en compte l’apparence ordinaire de l’œuvre sans vouloir lui substituer une essence secrète. Rien n’est plus contraire à la bonne interprétation des œuvres classiques et littéraires que la pratique des rébus et des énigmes. Le sens de l’œuvre n’est pas caché. C’est simplement le sens obvie, apparent, mais déployé dans toutes ses intrications et implications. Le sens n’est pas derrière : il est devant nous, comme la lettre volée de Poe. Il est l’expression exacte de la forme. Sens et forme sont inextricablement liés.

Paul Valéry disait : « Ce qu’il y a de plus profond en l’homme, c’est la peau. » C’est la peau de l’œuvre et du texte qu’il faut toucher et faire frémir, qu’il faut faire vibrer pour en écouter les résonances et les harmoniques.

Le « monde » qu’installe le tableau de Poussin, pour parler comme Heidegger, ne surgit pas de nulle part. Il s’inscrit dans une histoire culturelle des images et des idées. La démarche iconologique, malgré ses travers potentiels, est ici d’un grand secours.

Le thème de l’ « Et in Arcadia ego » fut pour la première fois traité par Le Guerchin. Dans ce tableau à l’esthétique caravagesque, très différente de Poussin, des bergers dignes d’une Nativité regardent ou bien découvrent un crâne. L’inscription est presque extérieure à l’image : elle n’y joue qu’un rôle de commentaire sans être intégrée dans l’action représentée. Ce thème réunit deux traditions concurrentes : l’une, antique, sur des gemmes gravés, représente des bergers contemplant un crâne sur un mode méditatif ; l’autre, médiévale, incarnée par le Dit des trois morts et des trois vifs, est d’inspiration dramatique. Ces deux modes se retrouvent dans le tableau du Guerchin.

Le peintre avait déjà utilisé en 1618 les mêmes figures de bergers dans une représentation du supplice de Marsyas, comme si le crâne était celui du satyre après qu’il a été écorché. Curieusement, la première version d’Et in Arcadia ego par Poussin servait de pendant à une représentation du roi Midas, qui servit de juge au concours entre Apollon et Marsyas. Poussin connaissait-il les deux tableaux du Guerchin ? À tout le moins, un collectionneur a pu vouloir lui en commander les équivalents.