L’Église elle aussi hellénophone : la liturgie (fin)
Le maintien du grec comme langue par défaut de la liturgie ne fut évidemment pas sans rendre la position des fidèles de plus en plus inconfortable. L’écart entre l’usage liturgique et leur véritable maîtrise linguistique se creusait toujours plus jusqu’à un point de rupture atteint au VIIIe siècle. Si cet écart était neutralisé à l’oral par la force de l’habitude et la capacité des fidèles à reproduire mimétiquement la sonorité de paroles apprises par cœur et parfois par le recours à des traductions — ainsi que par la présence d’interprètes attestée pour l’Égypte par Sérapion de Thmouis (IVe siècle) —, il n’en allait pas de même à l’écrit. Et c’est ainsi qu’on voit se multiplier des hymnaires ou autres recueils liturgiques à ce point truffés de fautes que le grec en devient méconnaissable.
Le poids écrasant du passé : la marginalisation institutionnelle de l’égyptien
C’est toutefois la situation historique de l’égyptien à l’époque ptolémaïque, et, surtout, sous la domination romaine, qui explique pour une bonne part le long retard avec lequel le copte est parvenu à s’autonomiser et à s’émanciper de la tutelle du grec. En effet, lorsqu’il apparaît au IIIe siècle, après une période d’interruption pendant laquelle l’égyptien n’avait plus été utilisé naturellement par écrit, le copte devait non seulement trouver sa place dans une culture écrite désormais totalement occupée par le grec, mais aussi conquérir un statut officiel, tâche d’autant plus difficile que les siècles d’« agraphie » collective dans laquelle ont été plongés les Égyptiens ont marqué un arrêt de la tradition juridico-administrative, – l’hypothèse d’une continuité du démotique au copte dans ce domaine n’étant pas démontrée.
Le copte victime de ses origines
Au-delà des entraves propres à la langue et au poids de l’histoire, c’est sans doute dans les liens si forts que le copte a entretenus dès ses origines avec l’hellénisme, et dans l’hellénisation si profonde de ses inventeurs et des premières générations de ses utilisateurs, qu’il faut en fin de compte chercher la raison de l’inhibition qui l’a maintenu si longtemps hors de la sphère publique et a détourné ses utilisateurs du désir de l’imposer comme un concurrent possible du grec dans les domaines de l’écrit réglementé. Cette question nous plonge au cœur de la sociologie du copte et du problème des conditions de son émergence, qui nous avait intéressé l’an dernier.